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la longueur du pont, coquettement peinte ou plutôt vernissée en noir, avec les formes élégantes et singulières tout à la fois que nous représentent les images sur papier de riz que l’on rapporte de Chine. Il convint avec le patron du prix de 45 piastres ou 300 francs, pour aller de Han-kow à I-chang, trajet de cent lieues marines environ à la remonte. Ce pris n’était certes pas élevé pour le transport d’une douzaine de personnes à une telle distance, et encore est-il probable que le patron avait quelque peu forcé son tarif en l’honneur des. Anglais. Un voyageur indigène s’en serait tiré à meilleur compte. Le marché ainsi conclu,, il n’y avait pas un instant à. perdre pour s’installer à bord, car l’amiral Hope, qui désirait se rendre compte de la navigation au-dessus de Han-kow, avait offert de prendre la jonque à la remorque, et il devait partir le lendemain ; mais les Chinois sont méthodiques : le patron n’était pas prêt, il demandait du temps pour recruter ses matelots, pour mettre son navire en état, et sans doute, aussi pour trouver un supplément de fret qui eût augmenté les profits de son voyage. Il fallut donc agir militairement : le capitaine Blakiston profita de son ignorance complète du chinois pour ne pas comprendre les objections graves et les exclamations désespérées du patron, il fit jeter les bagages sur le pont de la jonque, s’y établit ainsi que tout son monde, et, avec l’aide de quelques matelots anglais, il amena son bateau à l’arrière du steamer de l’amiral. Le 13 mars, on se mit en route, et le patron, tout étourdi de ces façons expéditives, se réconcilia pourtant avec le destin en voyant sa jonque si prestement enlevée contre vent et courant à la suite du vapeur, sans qu’il eût à user sa voile ni ses avirons. Il n’avait jamais eu pareille fortune.

Le fleuve présentait l’aspect le plus animé. Les jonques et les bateaux se croisaient en tous sens, et l’on rencontrait fréquemment d’immenses trains de bois, de 150 à 200 mètres de long, descendant vers Han-kow et vers Han-yang, où il existe de nombreux chantiers de construction. Une partie de ces bois est aujourd’hui dirigée vers Shang-haï par les soins des négocians européens, qui ont bien vite apprécié les profits que l’on peut retirer de cette branche de commerce. Le bois transporté ainsi d’une manière très économique provient des bords du lac Toung-ting, dont les eaux se confondent presque avec celles du fleuve, à cent vingt-trois milles de Han-kow. C’est au sud de ce lac que s’étendent les riches districts qui produisent le thé noir vendu sur le marché de Canton. Jusqu’ici ce thé arrivait à Canton par la voie de terre, après avoir franchi à dos d’homme une chaîne de montagnes ; il est probable que désormais il prendra la route du fleuve Yang-tse-kiang, qui sera beaucoup moins coûteuse, et qu’il s’écoulera par Shang-haï. La montagne de Kin-shan, qui domine le lac Toung-ting, a le privilège