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fait ne s’élève point la barrière d’un principe absolu : leurs opinions mêmes les obligent à le reconnaître quand la nation l’accepte. Ils n’en sont guère séparés que par des questions de législation. Un changement dans la conduite ou dans les institutions suffit pour qu’ils changent d’attitude envers le pouvoir, et ils peuvent honorablement prendre leur part des libertés communes, remplir tous les devoirs qui suivent les fonctions électives, dès qu’il y a chance de les remplir avec profit pour le public. C’est là ce que signifiait le changement opéré dans certaines situations personnelles, et je puis garantir que la seule question douteuse pour beaucoup d’hommes indépendans et loyaux a été celle-ci : faut-il rester éternellement séparé des institutions du pays, c’est-à-dire apparemment n’en attendre l’amendement que d’une révolution ? Répondre par la négative n’avait, ce semble, rien de factieux.

Chacun a ses travers, et les gouvernemens sont des personnages qui ont les leurs. Un des plus communs est la manie d’avoir le plus d’ennemis possible. J’ai vu cette manie singulière suggérer bien des fautes et attirer bien des dangers à des pouvoirs fort différens. Dans un état libre, on se l’explique jusqu’à un certain point par les passions qu’engendre la lutte des partis. Un amour-propre ombrageux s’empare quelquefois des hommes publics, qui ne conquièrent et ne défendent leur pouvoir qu’à la pointe de leur talent. Le même travers serait moins explicable chez des ministres parfaitement dispensés de cette nécessité déplorable. Il y a une politique quinteuse, soupçonneuse, malveillante, irritante, qui est comme le mauvais génie d’un gouvernement : des gens qui gouverneraient comme on conspire voient dans toute dissidence l’inimitié, dans toute opposition un complot ; des adversaires politiques sont pour eux dès ennemis personnels. Ces gens-là inventeraient au besoin ce que des hommes d’état feindraient même d’ignorer.

On ne peut pas malheureusement dire que cette politique provoquante ne se soit pas montrée dans ces derniers temps, et tout le monde sait aujourd’hui qu’elle n’a pas plus reçu l’approbation du souverain que du pays. Au reste, l’opposition aurait tort de s’en plaindre. Ce n’est pas à elle de gémir de tout ce qui excite l’opinion. Ce qui nous importe à nous davantage, c’est la conduite des partis indépendans. Ce qui nous touche, c’est que les uns aient de la résolution, les autres de la sagesse ; c’est que, grâce à leurs progrès respectifs, ils forment peu à peu un ensemble d’opposition qui rende aujourd’hui la liberté nécessaire, et un jour la liberté gouvernable.

La ville de Marseille a donné un admirable exemple, lorsqu’elle a porté en même temps à la députation M. Thiers, M. Berryer et M. Marie. On ne peut trop citer de tels rapprochemens à ces hommes