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et presque toujours imprévues. Les élections de 1863 n’auront pas été sous ce rapport les moins significatives de notre histoire moderne.

Distinguons, pour plus de simplicité, seulement trois partis : les conservateurs, parmi lesquels se range naturellement la très grande majorité des amis de l’administration ; les libéraux, chez lesquels cependant tout n’est pas opposition ; les démocrates, qui ont, eux aussi, par quelque côté, de certaines liaisons avec l’empire. Le fait dominant des dernières élections, c’est la réapparition du second de ces partis, et sa tendance à se transformer en opposition constitutionnelle. Ce n’est pas une opinion qui renaît, c’est une opinion qui se relève et qui sent que son temps approche. C’est la France de 89 qui reprend sa course.

On dit que les résultats ont été faibles ; mais les symptômes ont été de beaucoup supérieurs aux résultats. Tout gouvernement clairvoyant doit s’applaudir quand les signes avant-coureurs d’une crise sont suffisans pour l’annoncer avant qu’elle soit menaçante. Il est averti avant d’être en péril, et il peut encore prendre les devans. Évidemment un mouvement secret s’était opéré dans les esprits, mais, comme à tout changement des dispositions intimes d’une nation, il fallait un incident qui le manifestât. Cet incident provocateur, ce fut (je ne vois pas pourquoi l’amitié m’empêcherait de le dire), ce fut la mémorable candidature de M. Thiers. Dès que le premier bruit en courut il y a peu de mois, l’opinion y vit comme un signal, et là est la cause occasionnelle de tout ce qui est advenu depuis ; une partie du public accepta l’idée d’un retour vers les traditions et les hommes de la liberté constitutionnelle.

Ce retour pouvait être diversement jugé. Que des hommes longtemps tenus à l’écart des affaires publiques en vinssent à reconnaître la possibilité et à montrer l’intention d’y rentrer sans sacrifier leurs principes ni leur dignité ; que, sortant d’un état de protestation muette contre les institutions, ils déclarassent le moment arrivé d’y chercher une place et d’en tirer parti au profit de la liberté, quoique ce fût évidemment pour y jouer un rôle d’opposition légale, ce n’était pas en soi un acte d’hostilité : ce pouvait même, à certains égards, être regardé comme un rapprochement, car c’était au moins déclarer que le régime existant ne leur paraissait pas à jamais fermé aux idées de réforme qu’ils professent ; c’était le déclarer perfectible ; c’était en un mot l’accepter. Que le pouvoir se montrât indifférent, cela se conçoit, mais irrité, c’est moins concevable. Il semble qu’une sage politique aurait pu regarder comme un succès ce changement de position, cette sorte d’adhésion conditionnelle. Des libéraux ne sont pas des légitimistes ; entre eux et le gouvernement de