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proportionnelle dans la représentation des divers intérêts sociaux trouveront beaucoup à prendre dans un ouvrage ingénieux que vient de publier M. Guadet sous ce titre : De la Représentation nationale en France. L’auteur est de ceux qui attachent une extrême importance au mécanisme représentatif, et qui ne croient pas la souveraineté du peuple suffisamment respectée, si elle ne reproduit pas dans l’assemblée élective avec les mêmes proportions les élémens dont se compose la société où elle réside. Il se donne donc beaucoup de peine pour décalquer en petit la nation dans la chambre. Nous avouerons qu’ici comme en tout, préoccupée principalement de l’intérêt de la liberté, notre sollicitude se porte davantage sur la pureté des élections et la prérogative des chambres élues. C’est moralement et non statistiquement qu’une nation doit être représentée, et nous tenons beaucoup plus à voir assurée par le régime intérieur des chambres la responsabilité ministérielle, dont M. Guadet nous paraît faire trop facilement le sacrifice, qu’à constituer artistement une assemblée où toutes les professions aient leurs mandataires. L’important encore une fois, c’est qu’il y ait élection véritable, je veux dire élection libre, et que l’opinion publique domine par la chambre dans le gouvernement, car c’est là le fond de la liberté politique. Si le suffrage universel ne servait pas à cela, à quoi servirait-il, et à quoi bon des élections[1] ?


II

Il conviendrait maintenant d’examiner comment la nation, conviée dans toutes les communes de France à contribuer à la formation de la représentation nationale, a usé de ce droit, droit d’autant plus précieux qu’il est peut-être le seul droit politique reconnu sans restriction dans l’état présent des choses.

Il y a toujours dans une société prise en masse un grand nombre d’indifférens politiques, et ce nombre n’est donné ni exclusivement ni fidèlement par le chiffre des abstentions au jour des élections. Outre que des empêchemens de divers genres, et quelquefois des systèmes politiques qui n’attestent rien moins que de l’indifférence, peuvent déterminer les gens à s’abstenir, il peut y avoir par compensation une assez grande quantité de votans qui, pour avoir participé à l’élection, n’en sont pas moins, touchant les affaires publiques, d’une froideur et d’une insouciance notoires, et ceux-ci ne

  1. Ces pages ont été écrites avant que la Revue n’ait publié les remarquables réflexions de M. le duc d’Ayen sur le suffrage universel : autrement on en aurait expressément profité, quoique M. le duc d’Ayen ait considéré d’une manière plus générale une question traitée ici uniquement en vue des circonstances de l’application.