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leur valeur. Malgré tout, l’esprit des campagnes doit être pris en considération à l’égal de l’esprit des villes.

J’avoue que le premier est moins éclairé que le second, qu’il peut même être asservi ou annulé plus aisément, et, tout en lui faisant sa part, je ne conseillerais pas de trop s’appuyer sur cette torpeur, cette absence de mouvement politique, cette docilité aveugle qu’une fausse raison d’état conseillerait d’exploiter. Encore une fois on est ici entre deux écueils : trop craindre d’un, côté le défaut de discernement, de l’autre le défaut de modération ; trouver les campagnes trop servies ou les villes trop indépendantes. La seconde crainte a prévalu sur la première dans les précautions que le législateur a prises contre la concentration du suffrage universel.

Établir que les élections se feront par communes, c’est évidemment verser du côté de l’esprit de localité et rendre autant que possible municipales des élections politiques. Les lois s’épuisent en précautions pour assurer la sincérité, la liberté, le secret, la régularité des opérations électorales ; jamais elles ne semblent avoir assez fait pour les préserver de toute influence abusive. Or ces opérations si difficiles à régulariser, la division par communes les multiplie outre mesure. Une élection ne se fait plus dans un ou plusieurs collèges, mais dans cinquante, dans cent collèges et plus encore. Ce sont, à vrai dire, pour nommer un seul député, cent élections au lieu d’une. Le moyen d’assurer.la bonne tenue de tant d’opérations simultanées ? Peut-on espérer que ce qui est déjà difficile à réaliser sur un grand théâtre, ce qui exige tout l’art et toute la vigilance du législateur, savoir le maintien des conditions de loyauté et d’indépendance nécessaires à toute élection, véritable, sera obtenu dans trente ou quarante mille communes, où l’autorité et le public peuvent manquer à la fois des principes de la moralité politique et de la pratique de la liberté légale ? On se plaint que les populations rurales n’aient pas toutes les lumières nécessaires, et l’on ne craint pas de les isoler, de les abandonner sans surveillance possible, sans contre-poids et sans contrôle. Il y a plus d’un village en France où le maire, l’adjoint, le maître d’école et le garde champêtre sont les seuls qui sachent lire et plus ou moins écrire. Comment comprendraient-ils dans toute leur sévérité, dans toute leur délicatesse les devoirs importans que la loi et la politique imposent aux fonctionnaires dans les élections ? S’ils comprennent ces devoirs, comment se promettre qu’ils n’auront pas la tentation d’y manquer, et qu’ils ne céderont pas à la tentation ? S’ils y cèdent, comment l’empêcher, comment le savoir, comment le constater dans un village inerte où l’opinion publique n’existe pas, où personne peut-être ne connaît la loi et ne saurait l’interpréter, où les plus intelligens n’ont pas une idée juste dès droits ni