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mais il y avait, précisément alors au cœur de notre législation quelque chose de tombé des nues : c’était la charte. Imposée à tous par les événemens, acceptée: plutôt que préméditée par son auteur même, subie comme une nécessité fâcheuse pour les uns, bienfaisante pour les autres, la charte, très raisonnable, quoique très peu rationnelle, avait quelque chose de l’autorité de ce qui ne se discute pas. Elle avait décidé, un peu au hasard, que pour concourir aux élections il fallait être Français, avoir trente ans et payer 300 francs de contributions directes. Cela fut pris pour bon, même pour excellent, et les vieillards se souviennent d’un temps où la France s’attachait à cette combinaison arbitraire comme à un droit naturel. On eût dit une vérité éternelle, au respect que lui portaient les esprits, et même de grands esprits. Une loi faite sur ces principes, la loi du 5 février 1817, a joui dans son temps de toutes les apparences d’un dogme politique. Je n’ai pas connu de loi plus populace. Les masses même qu’elle excluait sévèrement du cercle qu’elle avait tracé se passionnaient pour elle. On avait induit d’un article fortuit de la charte, et l’induction avait été élevée à toute la dignité d’une démonstration: philosophique, que l’élection devait être directe, et pratiquée par tous les censitaires à 300 francs. La théorie du système, c’est que le droit d’élire devait suivre la capacité d’élire, et que cette capacité, ce que Montesquieu appelle la suffisance, fondée sur l’intérêt, l’éducation ou l’indépendance (on disputait sur ce point), était irrécusablement et même exclusivement attestée par une cote de 100 écus. Après 1830, nous trouvâmes que 200 francs d’impôt étaient devenus le signé de la capacité ; mais le fond du système ne changea pas, et même les diverses réformes qui furent proposées n’en différaient que par la diversité des manières de constater la capacité.

Ce système, longtemps populaire, avait d’abord le mérite d’être simple. Un cens invariable, une élection directe, rien de moins compliqué ; mais la simplicité, malgré l’attrait qu’elle a pour l’esprit humain, est encore bien moins dans la politique que dans les sciences le gage de la vérité. Heureusement une certaine vérité ne manquait pas au système : il donnait ce qu’il promettait, des élections, réelles, c’est-à-dire des élections accomplies avec discernement et avec indépendance ce qui ne veut pas dire que les électeurs avaient toujours raison et ne cédaient-à aucune influence extérieure, c’est là la chose impossible ; mais du moins savaient-ils à quelle opinion ils donnaient leur suffrage, et s’ils cédaient à quelque intérêt, c’est qu’ils le voulaient bien. Rien n’était moins machinal que les élections entre 1817 et 1846. Le système avait encore un autre genre de vérité : il avait été calculé, annoncé, pour donner la prépondérance