Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’offrirait l’œuvre du rétablissement d’une Pologne indépendante. Les géographes politiques ont quelquefois refusé à la Pologne les conditions d’une existence indépendante sous le prétexte qu’elle manquerait de frontières naturelles. Nous demandons si les Lithuaniens, qui, près d’un siècle après le premier partage, sont demeurés assez Polonais pour provoquer et épuiser les cruautés d’un Mouravief, ne valent point des frontières naturelles, et si l’on sait des fleuves plus larges et plus profonds que de telles âmes, des monts plus infranchissables que de tels cœurs. Les dépêches officielles de Varsovie annoncent la fin de l’insurrection. Le 5 mars et le 17 avril, au moment où la cour de Pétersbourg recevait les premières communications des puissances et allait envoyer sa première réponse, le télégraphe de Varsovie transmettait des affirmations semblables. Chacun sait comment elles se sont vérifiées depuis quatre mois. Aujourd’hui la diplomatie russe a de nouveau à répondre à l’Europe ; il lui importe de prendre pour point de départ la répression de l’insurrection présentée comme un fait accompli, et le télégraphe de Varsovie a recours au même artifice. L’insurrection active de la Pologne et sa résistance passive ne seront point si facilement usées, et donneront à l’Europe le temps, hélas ! trop long, qui lui est nécessaire pour marcher à la défense du droit et de l’humanité. Nous ne saurions trop engager ceux qui veulent se rendre compte et des perspectives que la lutte de la Pologne avec la Russie ouvre à l’Europe, et de la vitalité du mouvement polonais, à lire le livre qu’un éloquent anonyme vient de publier sur la Pologne et la cause de l’ordre. Ce livre n’est pas seulement le cri émouvant d’un grand patriote, c’est le large jugement d’un homme d’état sur les questions qui s’agitent et s’agiteront longtemps dans l’Europe orientale. L’élévation des idées et la vigueur des sentimens s’y mêlent à des aperçus lumineux, pleins de révélations pour les hommes politiques de l’Occident. C’est dans cette œuvre que ceux qui se sentent attirés vers la Pologne par un instinctif sentiment peuvent trouver la plus complète justification de leurs sympathies.

Un nouveau tour des événemens militaires place les états de l’Amérique du Nord dans une situation très critique. Tandis que les opérations remarquables du général Grant semblaient promettre aux fédéraux la domination prochaine et complète du Mississipi, le général Lee prenait avec l’armée confédérée de Virginie l’offensive au-delà du Rappahannock, et menaçait à la fois aux dernières nouvelles le Maryland, la Pensylvanie et Washington. Le général Lee, si heureux jusqu’à présent dans la guerre défensive, a échoué une première fois lorsqu’il a voulu porter la guerre chez l’ennemi, et l’on se souvient que, battu par Mac-Clellan, il fut forcé de repasser le Potomac. La fortune des armes sera-t-elle pour lui dans cette opération nouvelle ? S’il défait l’armée de Hooker, qui va lui barrer le chemin, il semble que la guerre d’Amérique doive toucher à sa crise extrême. Les affaires américaines sont également en mauvaise voie en Europe. À l’heure où nous écrivons, M. Roebuck développe sans doute devant la chambre des