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oublie ces défauts pour n’être plus charmé que des qualités. » J’aimerais mieux cela, ai-je dit, et pourtant que de périls à laisser intervenir et prévaloir cet esprit philosophique dans les décisions en matière d’art ! C’est par l’intervention de cet esprit philosophique qu’on en arrive à laisser échapper des aveux comme celui-ci : « il m’importe médiocrement qu’une figure ne soit pas à son plan et qu’au fond d’une chambre elle paraisse éloignée d’un quart de lieue. » Je passerai probablement aux yeux de M. Champfleury pour « un esprit étroit, dénué d’enthousiasme et d’intelligence ; » mais, sans vouloir m’attacher à la faute, » je ne puis taire qu’en dépit de l’esprit philosophique la faute me choque. La critique ne saurait être un constant panégyrique, ou alors elle cesse d’être et se transforme en duperie. Elle n’a de vertu qu’à la condition de dire toute la vérité d’abord, et, comme elle est juge en même temps que témoin, il lui appartient, après avoir exposé son propre témoignage, de se montrer indulgente ou sévère. Auprès des qualités, elle doit montrer les défauts, les expliquer, les excuser quelquefois, mais ne jamais les justifier. Or, en ce temps-ci où il n’y a plus d’ateliers ouverts, où l’enseignement technique laisse tant à désirer, où d’autre part les tendances réalistes s’affirment de plus en plus, il serait funeste de laisser croire que le génie de la réalité dispense de toutes les qualités pratiques.

Il n’est pas de plate et mesquine peinture qui ne se trouve glorifiée à l’aide de pareils principes, et je ne comprends point ces demi-transactions avec la vérité. Exiger l’observation de la réalité morale (c’est là ce qu’il faut entendre sans doute par l’esprit philosophique, et se montrer indifférent à l’observance de la réalité matérielle, à la fidélité d’imitation en présence des infinies beautés de formes et de couleurs dont la nature déploie l’incomparable spectacle, c’est à quoi je ne souscrirai jamais, parce que c’est atteindre l’art de la peinture dans les sources mêmes de son existence. Eh quoi ! réalistes, c’est vous qui invoquez je ne sais quel esprit philosophique pour l’opposer à l’esprit de sincérité, vous qui n’avez pas cependant assez d’amertume contre les esthéticiens lancés à la recherche d’un « certain beau nuageux ! » Quel est ce renversement subit de tous les rôles, et d’où vient-il ? Hélas ! nous craignons que de telles contradictions ne révèlent la faiblesse de ce réalisme même, faible comme toute doctrine excessive et exclusive, et ce sont de telles faiblesses qui condamnent un système. Nous ne dirons donc point : « Que nous importent les défauts des peintres du réel ? » car de tous les principes d’école qui se sont succédé il n’en est pas un qui souffre moins la médiocrité pratique. Nous dirons de préférence aux jeunes artistes entraînés par le mouvement de sincérité qui paraît se marquer chaque jour davantage : La première loi de l’artiste