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délibérations. En mars 1648, quelques semaines après la fondation de l’Académie, Louis, Antoine et Matthieu Le Nain y figurent comme peintres de bambochades. La même incertitude qui couvre la biographie des artistes laonnais s’est toujours opposée à ce qu’on pût attribuer sûrement une seule de leurs œuvres à l’un plutôt qu’à l’autre. En effet, sur aucun tableau signé Le Nain, le nom de famille n’est accompagné du prénom. La légende, qui se plaît toujours à grossir le mystère, en a conclu qu’ils avaient uni leurs pinceaux comme leur existence. Quelques écrivains ont accepté cette fable, qui est non-seulement invraisemblable a priori, mais qui s’évanouit complètement à l’examen des peintures, nous aurons amplement occasion de le démontrer. Si l’analyse critique pouvait laisser subsister quelques doutes à cet égard, la notice de dom Leleu achèverait de les dissiper, car, malgré la confusion qui y règne, on y trouve la définition des genres dans lesquels ils se sont exercés. « Antoine, l’aîné, excellait pour les miniatures et les portraits en raccourci (c’est-à-dire de petite dimension). Louis, le cadet, réussissait dans les portraits qui sont à demi-corps et en forme de buste. Matthieu, qui était le dernier, était pour les grands tableaux, comme ceux qui représentent les mystères, les martyres des saints, les batailles, etc. » Je souligne à dessein deux mots de cette dernière phrase qui me paraissent importans, et auxquels il me semble que M. Champfleury n’a point assez fait attention. En effet il conclut de ce passage que Matthieu Le Nain a dû peindre des tableaux de bataille, et il ajoute : « Peut-être les retrouvera-t-on un jour, à moins que dom Leleu n’ait gratifié ses compatriotes de toutes les facultés, car quand il parle de mystères, de martyres et de saints peints par les Le Nain, il faut entendre des tableaux religieux. » Dom Leleu, à mon avis, n’a pas prétendu désigner des tableaux de Matthieu Le Nain, mais donner une idée approximative de la dimension de ses ouvrages. Et il faudrait rétablir le texte ainsi : « Matthieu était pour les tableaux grands comme ceux qui représentent (habituellement) les mystères, etc. »

C’est donc à Matthieu Le Nain qu’il faudrait attribuer la Crèche du musée du Louvre et la Nativité de Saint-Étienne-du-Mont. Quant aux autres œuvres des Le Nain, si l’on s’en rapporte aux indications de dom Leleu, on doit rendre à Louis, le cadet, les portraits de Cinq-Mars, d’Anne d’Autriche, de Mazarin, et celui de la marquise de Forbin, un des plus beaux morceaux du musée d’Avignon. Cette classification, qui n’a rien d’improbable, nous permettrait enfin de laisser à l’aîné, Antoine, les sujets « en raccourci, » c’est-à-dire les intérieurs de ferme, de corps de garde, les scènes de mœurs populaires, qui sont toujours de moyenne dimension, et dont les figures ne dépassent guère 60 centimètres. Je ne prétends point qu’il y ait