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art qui fut l’expression rigoureuse de leur civilisation, de leurs mœurs, — privilège unique, et que nous leur envierons toujours. Exemple digne d’être médité! ils ont pratiqué pour eux, seulement pour eux, pour les besoins de leur époque, dans le culte, dans la vie publique, un art qui, ayant un but prochain, déterminé, connu de tous, n’a cessé par cela même de s’élever à la perfection. Comment s’obstine-t-on à ne pas comprendre cette leçon? Toute l’esthétique des Grecs peut se résumer en quelques mots : ils ont déterminé le rapport de l’art avec la société. L’esthétique de tous les temps n’aurait pas dû varier, et, tout en tenant compte des découvertes du passé, dans l’avenir elle ne doit pas être différente. Tout grand artiste, à quelque époque qu’il appartienne, ne saurait avoir d’autre loi. Raphaël, Titien, Rembrandt n’ont agi, sciemment ou non, qu’en vertu de ce principe. Rubens et Véronèse y ont manqué parfois, et c’est ce qui explique les taches que l’on rencontre dans leurs œuvres. Poussin l’a en partie méconnu, et c’est là sa faute. Il a appliqué l’effort de son talent si puissant à galvaniser une forme de l’art désormais inerte et sans vie. Qu’il ait parfois réussi au-delà de toute espérance, nous devons regretter d’autant plus vivement cette déperdition de forces supérieures non employées à la glorification de l’époque où elles se sont manifestées. Les artistes grecs, les maîtres de la renaissance italienne, le grand maître de l’art hollandais, seront donc pleins d’enseignemens pour nous, si nous savons étudier leurs œuvres dans leur étroite relation avec les divers siècles de l’histoire et de la civilisation. Ils nous éclaireront et nous guideront, ils ne devront jamais être pris pour modèles absolus. Nous ne nions pas évidemment qu’au point de vue technique il ne soit bon de s’approprier celles de leurs qualités où ils ont excellé; mais c’est affaire d’atelier et de professeur intelligent que d’apprendre à modeler un corps, à plisser une draperie, et d’emprunter son enseignement au passé; on ne songe pas à blâmer un jeune peintre de copier les maîtres de son choix, ceux qui ont le plus d’affinité avec son tempérament, qui l’aideront à se connaître, à se révéler à ses propres yeux. C’est ici que s’arrêtent les droits des siècles écoulés sur les siècles à venir.

Ce Le Brun fastueux et pompeux, cet aimable Watteau, ce Chardin, le premier peintre qui ait compris et rendu la bourgeoisie, étaient plus que ne le fut Poussin dans la direction indiquée à l’art français. Cette direction, c’est l’amour élevé de ce qui est vrai, clair, précis, exact sans trivialité, noble sans boursouflure. Nous avons montré les premières traces de ce penchant du génie national dans ce qui nous reste des œuvres de l’ancienne école française ; nous l’avons montré dans les altérations que lui a fait subir l’influence italienne prématurée ; nous l’avons montré méconnu en partie par