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d’impulsion est unique. C’est un mot d’ordre qui ne peut être modifié que par les sectes schismatiques ou par le passage de l’art en des mains séculières. Prédominance du fait sur le charme plastique, recherche constante du vrai, interprétation fidèle de la réalité, grandie par un sentiment très vif de la noblesse de l’expression à défaut de la noblesse des formes, — de tout cela résulte une grande séduction, celle qu’exerce sur les âmes saines cette qualité si rare, le naturel. Le naturel disparaîtra souvent de l’école française du XVIe au XIXe siècle, et toujours par quelque brèche il y reprendra place. Comment nier la parenté de certains groupes de saints dans les miniatures avec les groupes qui figurent dans l’œuvre des frères Le Nain, de Philippe de Champaigne, de Watteau lui-même et de Chardin ? Sous la variété des talens humbles, modestes, ou brillans, éclatans, superficiels et légers, que de fois ne rencontrons-nous pas, même chez les plus corrompus, ce retour de naïveté qui pose bonnement les personnages d’une scène en face du spectateur, inattentifs aux bruits du dehors, regardant sans voir : singulier accent, qui se retrouve aux dates les plus éloignées ! Ce n’est là qu’un trait particulier qu’il suffit d’indiquer en passant. Le trait dominant, c’est l’amour du vrai, une sincérité qui n’exclut pas l’imagination, mais qui la règle : précieuses qualités, tout à fait françaises, mal servies, au point de vue pittoresque, par une inexpérience qui n’est pas dénuée de grâce cependant. Et l’on peut voir à quelle hauteur cet art français pouvait atteindre dans les belles miniatures qui portent le nom illustre de Jean Fouquet, le savant et naïf aïeul du savant et naïf Le Sueur. Le même caractère d’imitation précise se remarque, dès le XIIIe siècle, dans les verrières de nos églises. On en peut juger par les belles parties qui en ont subsisté. La Sibylle de Samos, vitrail du XVe siècle à l’église de Saint-Ouen de Rouen, offre le plus rare assemblage de l’expression morale et du goût, de l’élégance et de l’exacte vérité. Et ce n’est là qu’une promesse, une transition, pour arriver à la richesse d’imagination, à la science, à cette charmante alliance de l’invention avec le réel qui distingue les vitraux de l’église Saint-Patrice dans la même ville. Ces vitraux sont, il est vrai, du XVIe siècle ; mais le plus curieux de tous, représentant le Péché, le Diable, la Mort et la Chair, est très probablement antérieur à l’arrivée du Rosso à la cour. Léonard de Vinci, pendant son séjour en France, où il était venu mourir, n’avait pu guère avoir d’action sur nos artistes. Quant au Rosso, on peut affirmer que ses leçons n’apportèrent aucune modification dans la manière de nos peintres verriers, dont la supériorité était reconnue, non-seulement en France, mais en Angleterre et surtout en Italie. Les vitraux de Saint-Patrice montrent à quelle grâce exquise et vraiment originale pouvaient aboutir nos qualités d’observation précise et de sincérité.