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dans son histoire il n’y a pas de lacune. C’est là son mérite exceptionnel, et c’est là son honneur. Attirés par le prestige éblouissant des écoles étrangères, nous avons détourné nos regards de nous-mêmes, nous avons à tort dédaigné ce qui devait être pour nous un juste sujet d’orgueil. Il est temps de revenir de cette erreur, qui a trop duré, et de renoncer définitivement à une prévention sans nul fondement. A quelque point de vue que l’on se place pour juger l’école française, quelles que puissent être les dissidences sur tel ou tel artiste, il est impossible de méconnaître son incontestable valeur. Cette déclaration très sincère doit nous servir de sauvegarde, s’il nous arrive de heurter quelqu’une de ces opinions toutes faites dont s’accommode la paresse habituelle du public, trop sujette à emprunter son credo à des livres où la « bonne doctrine » se transmet d’âge en âge, c’est-à-dire sans contrôle et sans examen.

Dans cette éloquente étude sur Eustache Le Sueur où M. Vitet a fourni un précieux modèle de critique appliquée à l’histoire des arts, l’auteur a été amené par son sujet même à caractériser l’influence qu’avait eue sur notre école nationale l’invasion des peintres italiens à la cour de François Ier. « Rien ne pouvait, dit-il, être plus funeste à la France que la tentative de la mettre d’emblée et d’un seul coup à l’unisson de l’Italie. En lui supprimant ses années d’apprentissage, on lui enlevait toutes ses chances d’originalité. Il faut à un pays, pour s’élever au sentiment de l’art, les épreuves d’un noviciat, il faut qu’il se fraie lui-même son chemin : si l’artiste passe subitement de l’ignorance au savoir le plus raffiné, ce n’est qu’à la condition de singer ce qu’il voit faire, et d’employer des procédés dont il ne comprend ni le motif, ni l’esprit. Faire fleurir la peinture en France était un louable projet, mais il ne fallait pas transplanter l’arbuste tout couvert de ses fruits : il fallait préparer le sol, faire germer la plante, la laisser croître en pleine liberté, et l’acclimater par une intelligente culture. Notre jeune roi victorieux ne devait pas avoir cette patience. Aussi peut-on dire qu’avec les meilleures intentions du monde il exerça sur l’avenir de la peinture en France une assez fâcheuse influence. »

Quelle influence ? La plus regrettable, à notre avis, en ce sens qu’il détourna l’art français de sa pente naturelle, qu’il étouffa sa naissante originalité, déjà marquée dans certaines manifestations. Il faut les analyser, ces œuvres de notre primitive école, pour se rendre un compte exact des vertus particulières qui, sans la trop grande hâte de François Ier, auraient déployé dans la peinture et la statuaire leur féconde activité, et fondé sûrement la véritable tradition esthétique propre au génie français.

Le moine Alcuin, secondant les grandes vues de Charlemagne, avait introduit en France l’art des miniaturistes, et, depuis ce moment,