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ils sont à court. Aucune misère n’est plus douloureuse à étudier, et elle est presque toujours accompagnée d’une impudence qui révolte. Sous des vêtemens en lambeaux se cachent de grands airs ; ces hommes s’irriteraient si on les traitait de pauvres, quoiqu’ils soient descendus plus bas que les pauvres mêmes. On devine ce que peuvent être les enfans issus de pareils pères : hâves, malingres, mal nourris, élevés sous le bâton, ils débutent dans les cloaques des grandes villes pour aller finir dans quelque établissement pénitentiaire. Toutes les ruses leur sont familières ; ils sucent la dépravation avec le lait, et plusieurs d’entre eux poussent jusqu’au génie l’art des petites déprédations. C’est pour de tels sujets que s’ouvrent les écoles en haillons ; nulle autre part on ne les recevrait avec les guenilles qui les recouvrent. Le trait qui sépare ces écoles des écoles ordinaires n’est ni la profession des parens, ni les ressources des familles ; c’est plutôt le tempérament, les habitudes, la tenue. Ceux qui les ont fondées, ainsi que ceux qui aujourd’hui les maintiennent et les desservent, ont obéi et obéissent aux plus judicieuses inspirations de la charité. Ils ont aperçu dans les bas-fonds de la société une catégorie d’enfans qui restait sans patronage, enfans de pauvres sans être classés comme pauvres, enfans abandonnés sans être des vagabonds, triste rebut des classes impures et peu susceptible d’être amendé. C’est pour passer au crible cette balayure sociale et en tirer ce qu’elle contient de meilleur que les écoles en haillons ont été instituées ; c’est à cette œuvre que se vouent chaque jour des hommes zélés et des femmes généreuses avec une ardeur que rien n’abat, une patience que rien ne lasse.

Quand on est entré dans une de ces écoles, le souvenir ne s’en efface plus : il est évident qu’on est au milieu d’une collection d’abominables petits garnemens. Non-seulement les vêtemens sont disparates, souillés, déchirés, criblés de trous, mais sur les visages règne une effronterie précoce, le pire des stigmates que le contact du vice imprime à l’enfance. On voit que des instincts pervers se sont déjà emparés de ces cœurs, et ne capituleront, s’ils capitulent, qu’au prix de rudes assauts. Point de bien à espérer du rapprochement de tels élémens ; entre ces vauriens il n’y a de nuance que du mauvais au pire. Les familles qui, dans la misère, ont conservé un fonds d’honnêteté rougiraient d’envoyer leurs enfans dans les écoles en haillons ; elles préfèrent les écoles du workhouse, comme offrant un risque moindre. Il ne reste donc aux premières, comme cliens, que les enfans dont les familles ne veulent ou ne peuvent pas payer la rétribution scolaire, ou ceux qui n’ont pas des vêtemens assez décens pour se présenter dans les écoles ordinaires, ou ceux enfin qu’un caractère indomptable et des habitudes vicieuses ont fait