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les moines. Cette vie se passe tout entière à répéter des formules de prières (un rosaire leur sert à en supputer le nombre), à sonner les cloches, à battre la caisse, à présider les cérémonies funèbres, à mendier, et surtout à bien manger, boire et dormir. Les offices, qui ont lieu le matin, dans la journée et à la tombée de la nuit, durent longtemps. On y entonne un plain-chant qui, par le rhythme et la mélodie n’est pas sans analogie avec celui de nos églises. Souvent, quand je m’éveillais à la pointe du jour, en voyant le grand temple s’éclairer de lueurs mystérieuses, en entendant la psalmodie monotone des moines japonais, que la brise matinale apportait jusqu’à moi, je pouvais me croire transporté à des milliers de lieues, en plein pays catholique, à la porte d’un monastère de chartreux ou de trappistes. De même le soir, lorsque les belles cloches des temples de Nagasacki annonçaient la fin du jour et invitaient les hommes au repos, les fidèles à la prière, je retrouvais encore un souvenir de la patrie dans ces appels sonores qui me rappelaient l’Angélus.

Les Japonais qui font métier de sacerdoce, les moines ou bonzes, les bo-sans, comme on les appelle, semblent être les seuls individus de cette nation qui s’occupent avec quelque suite du culte religieux. Le peuple, autant que j’ai pu en juger par moi-même et d’après les renseignemens des résidens étrangers, le peuple fait de la religion une affaire d’importance secondaire; il traite ses dieux, dont un grand nombre sont d’anciens héros canonisés, comme il traite ses supérieurs, c’est-à-dire avec les dehors d’une politesse souvent obséquieuse, mais où l’on démêle une certaine bonhomie et quelque familiarité, et avec un respect qui n’est pas exempt de secrètes appréhensions. Quant aux divergences qui séparent entre elles les différentes sectes du bouddhisme, ou qui distinguent cette religion même du sintisme, il n’est guère possible de les apercevoir, et on ne possède à ce sujet que des données fort incertaines. Les indigènes ne paraissent pas en savoir davantage ; au reste, ils se soucient peu d’une question semblable, et prient, sans distinction de sectes, dans chacune des églises où ils entrent sur leur passage. Lorsqu’on eut achevé la belle église catholique de Yokohama, M. l’abbé Girard, pro-vicaire apostolique au Japon, y vit, à sa très grande satisfaction, les Japonais se présenter en foule. Ce fut avec les marques d’un profond respect qu’ils pénétrèrent dans l’enceinte sacrée; ils examinèrent attentivement l’image du Christ, déposèrent des offrandes sur les marches de l’autel, et quelques-uns se mirent même à genoux et récitèrent des prières. Rien ne semblait plus naturel que de voir en eux des gens tout disposés à se convertir au christianisme; mais les personnes un peu familiarisées avec les habitudes