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jusqu’au coucher du soleil les pavillons des consulats de France, des États-Unis, de Grande-Bretagne et de Portugal. La plupart des habitations d’Oora sont spacieuses, bien aérées, et entourées au premier étage d’une galerie ouverte (verandah), que l’on retrouve dans presque toutes les demeures étrangères à l’est du Cap. C’est l’endroit le plus agréable de la maison, et chaque famille s’y réunit le soir pour recevoir les amis et pour s’entretenir de l’Europe, le seul sujet de conversation qui ne tarisse jamais. Mille exemples m’aideraient à montrer combien ce souvenir de l’Europe est resté profond parmi les étrangers forcés de vivre dans l’extrême Orient. Je n’en choisis qu’un seul. Après le dîner, lorsqu’on a renvoyé les domestiques, le maître de la maison réclame un instant le silence, lève son verre et dit : « Absent friends ! (Aux amis absens !) — God bless them ! (Que Dieu les bénisse !) » répond l’assistance. On boit, et la conversation reprend son cours. Ce toast, porté respectueusement, sans démonstration de joie ou de tristesse, a quelque chose de touchant ; c’est l’expression du regret sincère de la patrie absente, c’est aussi la manifestation un peu prosaïque de la nostalgie anglo-saxonne. Les « amis absens, » ils ne savent pas et ils ne peuvent savoir à quel point ils sont aimés de leurs amis, habitans des colonies lointaines. Ces hommes au front soucieux, qui semblent n’avoir qu’une pensée, celle d’amasser de l’argent, et qui, dans cette poursuite de la richesse, se condamnent sans se plaindre à une vie d’ennuis et de fatigues, ces hommes-là accumulent au fond de leurs cœurs des trésors d’affection pour ceux qui leur ont été chers et qui sont loin d’eux. Aussi quelle fête ils font à quiconque leur est adressé d’Europe et leur apporte, avec quelques lignes tracées par une main amie, un souvenir de la patrie regrettée ! J’ai souvent admiré la complaisance avec laquelle des hommes fort occupés et blasés sur les étrangetés du Japon et de la Chine se faisaient les cicérones de voyageurs n’ayant d’autre titre à leur bienveillance qu’une lettre de recommandation venant d’un ami commun. Un tel gage est tout aussi sacré qu’une lettre de change, et un chef de maison, après s’être assuré que tout est en règle, ne songe pas plus à laisser protester l’un que l’autre.

Mes amis de Nagasacki se mirent entièrement à ma disposition. Grâce à eux, grâce aussi à de longues promenades que je faisais seul, dans une complète sécurité, à travers la ville et la campagne, j’acquis en trois mois une connaissance assez grande de la langue et des coutumes des habitans. La ville japonaise de Nagasacki occupe une étendue de terrain considérable ; elle possède beaucoup de grandes rues droites, bien percées et très propres. Les maisons sont petites et basses, blanchies à la chaux et couvertes de lourds toits