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de M. Donker-Curtius, commissaire royal de la Hollande, autrefois chef de la factorerie de Décima, et qui a laissé en Orient la meilleure réputation : comme tant d’autres, il n’avait jamais vu, si ce n’est dans les livres, les Hollandais se soumettre à des traitemens indignes, marcher sur la croix, et n’approcher les hauts fonctionnaires japonais qu’avec des démonstrations du plus servile respect. Au contraire, il avait vécu heureux et estimé au Japon, personne n’avait pris ombrage de ses croyances religieuses, il avait traité avec le gouverneur de Nagasacki sur un pied d’égalité, et la seule entrave mise à sa liberté avait été la défense, justifiée du reste, de se promener sans une escorte japonaise hors des limites de la factorerie.

Le vieux Décima, le Décima pittoresque de Kaempfer, de Thunberg et de Siebold, a été détruit par un incendie. Le nouveau Décima a perdu tout caractère ; il ressemble à une petite ville de la Frise, et ne contient qu’une demi-douzaine de rues propres et bien alignées. Les maisons, blanchies à la chaux, ont un faux air de casernes. Rien dans la construction ou dans l’aménagement n’y est emprunté au Japon, et les architectes qui les ont bâties semblent n’avoir eu d’autre ambition que celle de rendre à leurs habitans une grossière image de la patrie absente. La factorerie hollandaise sert de résidence à une trentaine de commerçans et à quelques fonctionnaires. Cette petite communauté forme, même au sein de la colonie européenne, une sorte de société particulière. Ceux qui la composent ont leurs intérêts à part ; ils vivent, se divertissent, font des affaires et se querellent entre eux. Rarement on les rencontre à Oora, l’autre quartier franc, et ils regardent avec froideur les Anglais et Américains, débarqués d’hier sur une terre où ils ont pris pied depuis deux cents ans. Ceux-là les, abandonnent volontiers à eux-mêmes et ne cherchent point à troubler leur isolement ; ils les-traitent même avec un certain dédain. — Les Anglais, disent-ils, n’auraient jamais accepté une position semblable à celle que les Hollandais ont subie au Japon pendant deux siècles. — Ils parlent d’ailleurs avec orgueil de l’extension que le commerce avec les Japonais a prise depuis qu’ils s’en sont emparés, et ils répètent à l’envi que la race anglo-saxonne est la seule qui sache pratiquer l’art de la colonisation.

Le nouveau quartier étranger, Oora, présente un aspect moins effacé et plus animé ; c’est là que résident tous les nouveau-venus que l’ouverture des ports du Japon a appelés des différentes contrées de l’Europe ou de l’Amérique. Il a été bâti au sud de la ville japonaise, dans une situation heureuse. Au lieu d’être entièrement isolé, comme Décima, il est adossé à de riantes collines couvertes de maisons de plaisance, au-dessus desquelles flottent depuis le lever