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— C’est à nos pères, me dit-il, que ce « pauvre homme » a dû de bien mourir. Ils l’ont consolé, fortifié, endoctriné. Vous savez cette histoire. C’était en 1595. Le pape Clément VIII, — un Aldobrandin qui aimait trop les lettres, — l’avait fait venir à Rome pour l’y couronner au Capitole. Heureusement le pauvre homme tomba malade ; la cérémonie fut différée. Un jour qu’il pleuvait, nos pères voient arriver à leur porte un carrosse rouge ; on reconnaît les armes et la livrée du cardinal Cinthio, l’un des neveux du pape. On descend, on accourt, on s’empresse. La portière s’ouvre, il en sort un grand fantôme : c’était ce pauvre homme, qui tremblait la fièvre… « Mes frères, s’écria-t-il en pleurant, je suis venu mourir parmi vous… » Inspiration céleste ! Lui, élevé aux jésuites, c’est dans nos bras qu’il voulait mourir !… Et à quelques jours de là il écrivait à son cher Costantini qu’en venant à Saint-Onuphre, il avait voulu préluder par ses entretiens avec de véritables religieux à ses éternels entretiens avec Dieu… Son attente ne fut pas trompée : c’est Dieu qu’il trouva parmi nous. Environné de nos pères, le crucifix à la main, le visage noyé dans les larmes ou rayonnant d’espérance, tour à tour il gémissait sur ses péchés ou il voyait le ciel s’ouvrir sur sa tête… Songez-y, élevé aux jésuites, c’est grâce à nous que ce pauvre homme a fait une fin très édifiante et qui l’a rendu immortel…

— Ce pauvre homme, lui dis-je, était un bien grand poète !

— Eh oui ! répondit fra Antonio d’un ton froid ; le poème des Sept Journées de la création est une belle chose ! N’est-ce pas là que se trouvent ces vers :


……… O sciocca e stolta
Sapienza mondana
………


— Quel chef-d’œuvre que la Jérusalem ! interrompis-je.

— Vous voulez parler de la seconde ? Je l’ai lue dans ma jeunesse. Il est un vers dont je me souviens :


Ne tremerà Ginevra e’l lago Averno.


Voilà un heureux rapprochement : Genève et le lac Averne !

— Quelle perle que l’Aminta ! repris-je.

— Je ne connais pas cette Aminta. Parlez-moi plutôt des Larmes de Marie. Lisez aussi ses Larmes de Jésus. Le reste n’est que vanité !… Mais à propos, ajouta-t-il, ne voulez-vous pas visiter la cellule de ce pauvre homme ?

Nous sortîmes de l’église. Après avoir traversé le cloître et gravi l’escalier qui conduit au dortoir, nous nous engageâmes dans un long corridor. Arrivés au bout : — C’est ici ! me dit-il. — Il poussa une porte ; j’entrai. Au milieu d’une chambre carrée, j’aperçus, posé sur un socle, le fameux masque de cire. J’approchai, je regardai…