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des cités offre le plus bizarre contraste de grandeur et de misère, d’édifices magnifiques et de petites rues sales et tortueuses ?…

— Ce contraste, madame, n’est pas rare, il se retrouve dans toutes les capitales de l’Europe. En est-il une seule qui n’ait son boulevard des Italiens et son faubourg Saint-Marceau ? Mais à Rome l’indigence, au lieu de se tenir à l’écart, vit côte à côte avec la richesse, qui l’admet dans sa familiarité, et l’une et l’autre doivent à cet étroit commerce je ne sais quel attrait de secrète poésie qu’on chercherait vainement ailleurs. On, pour mieux dire, Rome presque tout entière n’est qu’un gigantesque village où sont semées au hasard et à profusion les magnificences des arts, les nobles édifices, les plus beaux palais et les plus belles basiliques qui se puissent voir. La campagne envahit de toutes parts la ville éternelle ; elle escalade ses antiques murailles démantelées, pénètre au cœur de la place, se répand dans les rues, monte à l’assaut des sept collines, s’y installe victorieusement, les couronne de bosquets, de jardins, et les chaumières se mêlent aux palais, les vergers aux statues, les dômes de verdure aux coupoles des églises. De là un charme infini, pénétrant, qui n’a point de nom, quelque chose de doux à la fois et de sublime, de rustique et de solennel, l’églogue mariée à l’épopée. Sur le sommet du Palatin comme au Forum, partout vous sentez la présence d’une divinité champêtre que n’effarouchent point les ombres errantes des césars ; elle sourit à leur mélancolie, elle décore de pampres et de lierre leurs monumens décrépits, et ses regards rajeunissent ce vieux sol pétri de cendres où dorment trente siècles d’histoire… Oui, Rome est une ville étrange. Partout dans ce cimetière des bruits d’eaux pures et jaillissantes, partout de l’herbe et des fleurs, entre les pavés des ruelles comme dans les crevasses et sur la crête des vieux murs ruinés ; partout des arcs de triomphe, des frontons, des pilastres entourés de baraques de foire, des amphithéâtres, des temples et des colonnades environnées de roseaux, de vignes en pente, d’yeuses au noir feuillage et de pelouses d’un vert si doux et si luisant que les nymphes seules du Poussin, se tenant par la main et dansant une ronde, seraient dignes de fouler ce merveilleux tapis. Quel lieu serait si fécond en contrastes ? Jugez-en plutôt, madame. Je venais de quitter la plus belle place de l’univers, je veux dire la place Saint-Pierre, avec son obélisque, ses fontaines monumentales, ses colonnades infinies, son peuple de statues et sa basilique triomphante, dont la façade semble dire : Ceci est un palais, mais quel autre que Dieu serait assez hardi pour l’habiter ?… Je traverse un portique colossal, et me voilà en plein village. Figurez-vous une rue formée de deux rangées de masures, aux fenêtres des pots de fleurs et des lessives séchant au soleil, à droite et à