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répétition générale. Le hasard l’a bien servi, il a trouvé la rampe allumée.

— Bah ! dit-elle, écoutons-le religieusement. Nous l’obligerons et nous n’en mourrons pas.

— Et s’il faut mourir, s’écria tragiquement le notaire, l’église honore la mémoire des martyrs ! — Et il poussa en soupirant dans un coin la table de whist.

C’est un excellent homme que le baron Théodore, et ses amis l’aiment comme Henri IV aimait Grillon, à tort et à travers. Quand il fut de retour : — Allons, baron, dit Mme Roch, je ne serai pas fâchée d’oublier les tristesses de nos automnes bourguignons en partant avec vous pour l’Italie. Faites-nous visiter Rome, que je ne connais pas ; promenez-nous dans les bois d’orangers, et surtout, si la saison s’y prête, faites-nous respirer cette senteur si douce qu’exhalent les oliviers en fleur. Ce parfum subtil, je le respirai à Nice il y a quarante ans, hélas ! et il m’en souvient encore. Et puis, chemin faisant, vous nous expliquerez, puisque vous y tenez, pourquoi le Tasse est devenu fou… bien qu’à vrai dire, ajouta-t-elle, ces aventures-là ne méritent guère l’honneur d’une explication. Elles sont trop communes. Qui de nous n’a été un peu fou dans sa vie, et un poète de nos amis n’a-t-il pas dit :


Chacun use, soit peu, soit prou,
Au moins une cape de fou ?


On fit cercle autour du feu. Le gros baron s’éclaircit la voix en buvant une tasse de thé, puis il commença en ces termes :


I

Un jour que je me promenais dans Saint-Pierre, le plus beau promenoir du monde, je fis rencontre d’un officier français de ma connaissance qui me parla du couvent Saint-Onuphre où le Tasse est mort. — C’est à deux pas d’ici, me dit-il, sur le Janicule. On y voit le seul portrait authentique du poète, un masque de cire qui fut moulé sur son visage, comme il, venait d’expirer. Ne manquez pas de faire ce pèlerinage, aucun ami des lettres ne saurait s’en dispenser…

Je ne me le fis pas dire deux fois, et, m’étant informé du chemin, je traversai l’une des colonnades du Bernin et suivis une rue qui conduit à la porte Saint-Esprit… Mais, avant de passer outre, permettez-moi de vous dire que c’est une étrange chose que Rome.

— Cela n’est pas nouveau pour nous, dit Mme Roch, tant d’autres ont décrit Rome avant vous ! Et qui ne sait par exemple que la reine