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bientôt, les peuples occidentaux, qui n’ont rien à craindre des agressions russes, n’auront rien souffert dans leurs intérêts matériels, auront continué à faire en paix et profitablement leurs affaires, et, s’il faut combattre, n’entreront en campagne que pour peu de temps avec la confiance et la sécurité que doit donner la plus forte coalition qui se puisse former en Europe.

Il serait à souhaiter que l’on comprit généralement en France cette situation politique. On ne tardera point à se convaincre qu’elle n’offre aucune chance qui puisse alarmer les intérêts. Cette situation a pour elle précisément l’élément dont les opérations financières et industrielles ont surtout besoin, le temps. Elle a encore l’avantage de ne point imposer à la France des obligations particulières : l’Angleterre et l’Autriche sont liées à nous, dans la question polonaise, par les mêmes idées et les mêmes sympathies. Si l’Angleterre a laissé peut-être voir à l’excès une inclination pacifique dont on ne peut que louer le principe, elle ne saurait au demeurant se séparer de nous, et ses scrupules pacifiques coïncident avec la tactique recommandée par la politique la plus prévoyante. Nous pouvons donc vaquer à nos affaires intérieures et entamer sans le moindre trouble d’esprit la session de nos conseils-généraux.

Parmi les rares incidens qui se sont produits depuis les élections, il serait injuste d’omettre le discours prononcé l’autre jour à la Sorbonne par M. le ministre de l’instruction publique. La solennité de la distribution des prix était, pour M. Duruy, une occasion naturelle d’esquisser à grands traits l’œuvre de réforme qu’il entreprend dans l’enseignement. M. Duruy est appelé à être chez nous le restaurateur des études classiques, si tristement désorganisées en 1852 par la barbare bifurcation et la suppression de l’enseignement philosophique. On ne peut qu’applaudir au zèle de M. Duruy, à l’esprit libéral dont il paraît animé et à cette sorte de candeur chaleureuse avec laquelle il s’exprime. Voilà un ministre qui a le cœur sur la main. Parmi les réformes entreprises ou annoncées, il en est une qui nous a surpris agréablement : nous voulons parler du cours d’histoire presque contemporaine, de 1789 jusqu’à nos jours, qui sera professé dans la classe de philosophie. L’histoire de l’Europe depuis 1789 jusqu’à nos jours! mais c’est la controverse de toutes les idées politiques de notre époque, car ce n’est pas apparemment l’histoire-bataille de notre siècle qui sera enseignée à nos jeunes philosophes. Ce cours d’histoire aura-t-il une réglementation et une formule officielle? Ce n’est guère possible, et il suffirait d’ailleurs qu’on eût l’air de lui vouloir prescrire une conclusion officielle pour que notre jeunesse prît son essor vers les appréciations de l’histoire contemporaine les plus indépendantes. Pour ce qui concerne la France, l’histoire depuis 1789 est l’arène même des partis. Elle peut être faite au point de vue républicain, au point de vue napoléonien, au point de vue légitimiste, au point de vue constitutionnel. Nos jeunes gens vont se partager ces diverses théories, et nos classes de philosophie vont devenir de petites conférences politiques, de petits clubs très intéressans. Pour