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protéger la vie et la propriété des étrangers qui, sur la foi des traités, étaient entrés en rapport avec le Japon. Yokohama fut entouré de fossés et de canaux, destinés à isoler du reste de l’empire les établissemens où résidaient les commerçans occidentaux. À chaque entrée de la ville, on vit s’élever des postes occupés par des gardes japonais, et devant lesquels personne ne pouvait passer sans faire connaître l’objet de son voyage à Yokohama. La surveillance s’exerçait avec un soin particulier lorsqu’il s’agissait d’un samouraï[1] ; pour circuler dans la ville étrangère, tout samouraï était obligé de se munir d’un fouddé, espèce de passeport, qu’il devait attacher à la garde de son épée ; celui qui négligeait de prendre ce sauf-conduit s’exposait à être immédiatement arrêté par la police de Yokohama. À Yédo, foyer de la conspiration anti-étrangère, on poussa les mesures de précaution plus loin encore. Le taïkoun ne se contenta pas de mettre pour ainsi dire les légations en état de siège ; tous les membres de ces légations devinrent l’objet d’une surveillance incessante. Ils ne pouvaient faire un pas dans la rue, dans les cours même de leurs habitations, sans se trouver entourés d’hommes armés, qui, à pied ou, à cheval, les accompagnaient partout et ne les perdaient pas un instant de vue.

Ces dispositions, adoptées par le gouvernement du taïkoun, n’avaient d’autre cause sans doute que d’excellentes intentions à l’égard des Occidentaux ; cependant elles offusquèrent ceux-là mêmes qu’elles voulaient protéger. Les commerçans de Yokohama se plaignirent de ce que la surveillance aux portes de la ville, s’exerçait moins sur les personnes que sur les marchandises ; ils ajoutèrent, à tort ou à raison, que le gouvernement levait des impôts arbitraires et irréguliers sur tous les objets de commerce étranger, et que celui-ci en souffrait considérablement. Les résidens à Yédo ne furent pas satisfaits non plus de se voir traités comme des prisonniers d’état, et ils flétrirent du nom d’espionnage les mesures que le gouvernement appelait moyens de protection. Fatigués à la fin de voir constamment autour d’eux les visages attentifs et inquiets de leurs gardes japonais, ils renoncèrent, autant qu’il était possible, à leurs résidences officielles, et se rendirent pour quelque temps, M. du Chesne de Bellecourt à Yokohama, M. de Wit à Décima, et M. Alcock en Chine, où l’appelaient du reste ses affaires personnelles.

Vers la fin de juin 1861, M. Alcock revint de la Chine au Japon, et dans les premiers jours du mois suivant il partit du port de Nagasaki., situé au sud de l’empire, dans l’intention de se rendre par la voie de terre à Yédo. Son voyage, qui dura trente jours et dont il a

  1. Noble qui a, on le sait, le droit de porter deux épées.