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talent, constituent un ensemble qu’on peut se figurer et qui suffirait à dégoûter pour jamais de la peinture.

Que manque-t-il donc à l’art pour reprendre quelque vigueur et se relever de cette éthisie qui le ruine ? Est-ce la liberté absolue ? Est-ce une direction sévère ? Je ne sais ; mais je crois qu’il faudrait arriver à une rénovation complète du milieu où se produisent les arts aujourd’hui pour leur rendre la sève qui leur manque. Qu’importent à l’art une liberté spéciale, une direction spéciale ? Le mal est plus haut, la cause est plus profonde. Le mouvement de l’esprit humain est un, et il suffit qu’une seule de ses facultés créatrices soit annihilée pour que les autres s’atrophient et cessent de fonctionner. Comment exiger que les poumons respirent lorsque le cœur a suspendu ses battemens ? Si l’on parcourt les salles de l’exposition, si l’on regarde l’une après l’autre toutes les œuvres d’art, on verra que celles-là seules où se retrouve un souffle, une inspiration quelconque, sont dues à des hommes qui, comme MM. Français, Fromentin, Perraud, Gérôme, Matout, Cabanel même, ont traversé nos dernières heures de liberté. En littérature ; il en est de même ; les derniers venus autour desquels un peu de bruit s’est fait étaient déjà entrés dans la vie avant l’année 1848. Si l’on veut se rappeler ce que l’histoire nous enseigne et voir que les combats de l’esprit ont toujours amené une exubérance de vie intellectuelle qui s’est traduite par des éclosions glorieuses dans le monde de l’art et de la poésie, si l’on veut voir que la renaissance est contemporaine des guerres de religion, que la fronde a donné au siècle de Louis XIV ses élémens les plus glorieux, que la révolution française a enfanté l’école de David, que les luttes parlementaires de la restauration et du gouvernement de juillet ont produit l’épanouissement du romantisme, on comprendra qu’en notre temps de repos absolu l’art et la littérature s’enfoncent graduellement dans une léthargie menaçante. Il est possible que des idées passent autour de nous, mais elles ne se manifestent par aucun bruit extérieur. Quel oracle interroger, puisque tous les dieux sont muets ? Dans le château de la Belle-au-Bois-Dormant, tout le monde dormait : le peintre dormait, le sculpteur dormait, l’architecte dormait, et le scribe lui-même n’était pas bien certain d’être éveillé !


MAXIME DU CAMP.