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Géorgiques tout l’admirable épisode d’Aristée, auquel il a emprunté son motif d’Orphée, il y trouvera facilement le sujet de vingt tableaux de premier ordre. Quand il les aura bien vus en lui-même, il les exécutera facilement d’après ses études, et il laissera après lui une œuvre qui sauvegardera son nom pour jamais.

En dehors de ce beau paysage, qui est peut-être la toile la plus remarquable de cette exposition, l’école des paysagistes reproduit, à bien peu de différence près, les tableaux que nous connaissons déjà. Il y a cependant deux ou trois artistes qui méritent d’être signalés avec éloge, car leur progrès indique un effort. Dans Une plage en Bretagne, M. Blin constate qu’il est un peintre naturaliste, de ceux qui, comme Van Everdingen, s’imprègnent fortement de la nature, et, n’osant point l’interpréter, cherchent à la rendre telle qu’ils la voient. Les premiers plans de ce tableau sont excellens, peints avec une fermeté brillante qui laisse au rivage, aux rochers couverts de goémons, aux vagues qui déferlent, leur profonde humidité. J’aime moins le ciel épais, singulièrement dessiné, qui les couvre, et suffit à donner à toute la composition une lourdeur que jamais M. Blin ne trouvera dans la nature. Multiple en ses aspects et variant selon les latitudes, ici décharnée, là plantureuse, verte plus loin et rose là-bas, la vieille et toujours jeune Cybèle fournit à.qui l’interroge ses inépuisables ressources. Elle a inspiré à M. Saal un beau paysage, qui est une vue du Sulitjelma en Laponie pendant une nuit d’été, pendant une de ces nuits sans obscurité qui flottent vers les pôles comme un voile rose transparent. Les rennes paisibles, errant dans les blanches solitudes, paissent les lichens lépreux poussés aux flancs des monts ; les cônes chargés de neige se détachent sur les pâleurs du ciel, et produisent une impression étrange qui arrête et retient longtemps. La Mare Appia, nuit d’hiver, est aussi un paysage bien rendu malgré les empâtemens inutiles et malgré la blancheur trop vive de la lune, lorsque si près de nous elle est déjà et forcément vêtue des teintes rouges de notre atmosphère. M. Saal mérite d’être loué, car, au lieu d’imiter ses confrères, qui la plupart du temps se contentent d’un semblant d’exécution, il pousse son rendu aussi loin que possible, et arrive ainsi à des effets remarquables. Il ne suffit pas de bien voir, de choisir un site pittoresque ; il faut savoir le rendre, et je trouve qu’en général les peintres se contentent trop facilement d’exécuter en manière de pochade ce qui demanderait à être terminé. Ce sont des indications, des à peu près ; mais ce ne sont point des tableaux. M. Daubigny est le maître des à peu près ; sous prétexte de ne point gâter le sentiment, de ne point alourdir l’expression, il n’envoie plus que des ébauches. M. Brest, malgré son talent très réel, tombe dans ce