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parmi eux l’officier de Satzouma, qui porta la tête du régent au prince de Mito. Celui-ci la fit exposer pendant tout un jour sur une place publique avec cette inscription : « Ceci est la tête du traître Ikammono-Kami. » Il l’envoya ensuite à Kioto, la capitale du mikado, où elle fut également exposée pendant plusieurs heures sans que les officiers de la ville osassent mettre obstacle à cette cruelle bravade ; Rapportée ensuite à Yédo, la tête du régent fut lancée dans la cour de son palais pendant une nuit obscure. On l’y ramassa le lendemain matin, décomposée et méconnaissable, entourée d’un linge sur lequel se trouvait reproduite l’inscription : « Ceci est la tête du traître Ikammono-Kami.

La nouvelle de l’assassinat du régent se répandit promptement dans le pays ; beaucoup blâmèrent l’attentat, mais fort peu plaignirent celui qui en avait été la victime. C’était Ikammono-Kami qui avait appelé les étrangers, cause des troubles présens et des dangers à venir ; son ambition et sa puissance l’avaient fait en général craindre ou haïr, il était peu estimé, il n’était aimé que de ses proches parens et de ses amis intimes : ceux-ci jurèrent de venger sa mort et ne tardèrent pas à tenir leur serment. Quelques mois plus tard, le prince de Mito fut assassiné par un officier d’Ikammono-Kami qui avait pénétré dans son palais déguisé en ouvrier, et qui l’abattit d’un coup de hache un jour qu’il se promenait seul au jardin. Le meurtrier s’ouvrit immédiatement le ventre, et l’on trouva son cadavre auprès de celui de sa victime.

Ainsi se termina la longue rivalité du dernier régent et du grand gosanké, les représentans les plus éminens des partis progressiste et conservateur du Japon contemporain[1].


III

Après la mort du régent, la politique libérale eut un chaleureux défenseur dans le ministre Ando-Tsousimano-Kami, membre du conseil des cinq ; mais le parti opposé, quoique compromis par les

  1. Je dois faire observer que quelques personnes assez bien informées prétendent que le prince de Mito n’est pas mort, et qu’il se cache pour se soustraire à la vengeance des amis du régent. Cette opinion peu vraisemblable ne peut pourtant être tout à fait rejetée. Quoi qu’il en soit, depuis la mort du régent, on n’a plus entendu parler de Mito ; ses soldats, débandés et répandus par tout le Japon, y sont connus et redoutés sous le nom de Lonines de Mito (hommes sans emploi). La plupart des renseignemens relatifs à la rivalité entre le prince de Mito et le régent Ikammono-Kami ont été, avec une rare complaisance, mis à ma disposition par M. du Chesne de Bellecourt, ministre de France au Japon. Ce fonctionnaire ; qui habite Yédo et Yokohama depuis quatre ans y a travaillé avec une ardeur infatigable à réunir tous les documens relatifs au système féodal et à l’histoire contemporaine du Japon. Il possède à ce sujet des renseignemens très curieux dont la publication jettera quelque jour une vive lumière sur la situation politique du Japon.