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famé de Sinagava. Ayant appris que le régent irait le 24 mars rendre visite au taïkoun, ils résolurent de l’attaquer au moment où il traverserait la rue qui séparait son palais de celui du souverain. Bien qu’ils ne fussent que dix-sept, ils ne reculèrent pas devant la crainte d’avoir à combattre son escorte, composée de cinq cents hommes bien armés. Le matin du 24, réunis de bonne heure dans la grande salle de la maison de thé, ils firent un repas solennel, jurèrent d’aller sans hésitation jusqu’au bout de leur entreprise, et chacun d’eux accepta le rôle qui lui fut assigné ; puis ils se donnèrent rendez-vous sous le portail d’un palais devant lequel devait passer le cortège, et s’y rendirent par petits groupes de deux ou trois hommes.

La journée était froide et sombre ; la neige et la pluie ne cessaient de tomber, et dans les rues presque désertes qui entourent le château on ne rencontrait que quelques soldats et fonctionnaires marchant à la hâte, enveloppés de leur grand manteau en papier huilé. En s’arrêtant dans le lieu convenu d’avance, les conjurés parurent chercher un abri contre le mauvais temps et n’éveillèrent pas de soupçons. À onze heures, voyant arriver les porteurs de piques et de hallebardes qui précèdent d’ordinaire les cortèges princiers, ils se préparèrent à l’attaque. Le norimon, grand palanquin du régent s’avançait lentement, porté par seize hommes, entouré d’une double file de gardes du corps et suivi par les écuyers ainsi que par les officiers de la maison du prince. À l’instant où il arrivait à la hauteur du portail, le chef des conjurés donna le signal, et les dix-sept se ruèrent sur le norimon, enfonçant la ligne des gardes et renversant les porteurs. Le palanquin tomba lourdement à terre, et le régent passa la tête par la portière pour demander son épée ; mais au même instant un premier coup de sabre le renversa sur les coussins, d’autres coups achevèrent de lui ôter la vie, et l’officier de Satzouma, lui ayant coupé la tête, s’enfuit avec ce trophée pendant que ses complices protégeaient sa retraite. L’escorte du régent n’avait rien pu pour le défendre ; les gardes, embarrassés dans leurs grands manteaux, n’avaient pas encore eu le temps de tirer leurs épées que déjà le crime était consommé. Aussitôt remis de leur surprise, ils attaquèrent les meurtriers avec fureur ; un sanglant combat eut lieu, une vingtaine de soldats furent tués, cinq conjurés périrent les armes à la main, deux s’ouvrirent le ventre pour éviter d’être prisonniers, et quatre furent pris vivans ; les autres s’échappèrent, et