Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veines de quartz pailletées d’or ou les alluvions diamantifères. Cette industrie, qui a été jadis la fortune du pays, n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir. Les compagnies elles-mêmes n’y font plus leurs frais ; mais, quelle que soit la contrée qu’il traverse, le voyageur rencontre toujours dans la fazenda brésilienne cet accueil empressé et cette courtoisie qui ont rendu si célèbre la hacienda espagnole. Il arrive pourtant de loin en loin qu’un inconnu qui s’arrête devant une habitation vers trois ou quatre heures du soir et demande l’hospitalité s’entende répondre par le maître du logis : « Vous avez encore deux heures de soleil ; c’est assez pour gagner la plantation du senhor X… ou le rancho qui se trouve de l’autre côté de la rivière. » Ces paroles, assez dures à entendre pour celui qui est perdu dans les ornières des chemins, s’expliquent facilement. Il n’est pas donné à tout le monde d’être à la tête d’esclaves et de fermes. Beaucoup de colons n’ont pour tout patrimoine qu’une cabane d’argile et quelques champs de maïs ou de manioc qu’ils cultivent à grand’peine, Que pourraient-ils offrir ? L’hospitalité leur serait onéreuse, sinon impossible. D’autres fois c’est la fierté portugaise qui rend le seuil de la casa inaccessible. Tout homme de condition inférieure se sent mal à l’aise quand il est obligé d’introduire un étranger dans la lourde atmosphère d’un intérieur sale et dénudé. Heureusement ces cas sont rares. De caractère foncièrement chevaleresque, le créole, quelle que soit sa fortune, rappelle sous tous ses aspects l’inépuisable largesse de la nature vierge qui l’entoure, et qui depuis son enfance ne cesse de lui prodiguer ses caresses et ses trésors.

Veut-on maintenant jeter un coup d’œil sur l’avenir, veut-on rechercher quel sort sera réservé à la fazenda : il faut bien le dire, cette vie agricole et patriarcale tend à se modifier profondément. Bien que l’immobilité semble le propre des races indo-latines, elles ne sauraient pourtant échapper à l’action lente, mais inévitable, des transformations morales. Le souffle qui depuis trois siècles court l’Europe, et que les alizés et la vapeur portent chaque jour sur les rives atlantiques, atteindra bientôt la forêt vierge, et fécondera enfin ce que la hache portugaise ne savait qu’abattre. La plantation telle qu’on la trouve constituée aujourd’hui, c’est-à-dire avec l’esclavage pour base, s’éteint peu à peu. Depuis que la traite est sérieusement interdite, et que les escadres de France et d’Angleterre surveillent les côtes d’Afrique, le prix de l’esclave dépasse les ressources de la plupart des colons. D’un autre côté, le nègre des champs, à qui incombent tous les durs services, disparaît rapidement. Bien que prolifique de sa nature comme toutes les fortes races, l’excès de travail l’use avant le temps et arrête ou restreint sa reproduction. Telles fazendas qui comptaient un millier d’esclaves il y a une vingtaine