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j’y viendrais maintenant, si je n’y étais forcé pour le salut des âmes ?… Notre réforme doit commencer par les intérêts spirituels, qui sont au-dessus des intérêts temporels, dont ils forment la règle et sont la vie. Si l’on t’a dit (c’était un proverbe familier à Cosme de Médicis) que les états ne se gouvernent pas avec des pater noster, rappelle-toi que c’est là une maxime des tyrans, une maxime des ennemis de Dieu, une maxime pour opprimer et non pour délivrer. Tout au contraire, si tu veux un bon gouvernement, il faut de toute nécessité que tu le rapportes entièrement à Dieu. Je ne consentirais certainement pas à me mêler des affaires, s’il en était autrement. » Savonarole posait comme il suit les bases du nouvel état : premièrement la crainte de Dieu et par conséquent la réforme des mœurs, en second lieu le dévouement au bien public de préférence à tout intérêt personnel et à toute ambition particulière. Ces recommandations toutes pratiques avaient pour objet de préparer les esprits à une importante mesure, c’est-à-dire, sous le nom de paix universelle, à une entière amnistie, soit pour les amis du dernier gouvernement en général, soit particulièrement dans la cité pour les débiteurs de l’état. Chose assurément inattendue et nouvelle que la clémence d’un parti vainqueur en de pareils jours ! Dans cette Italie du XVIe siècle, quand le meurtre et la violence, étant partout, avaient cessé de révolter ou même d’étonner les consciences, après les sanglantes exécutions par lesquelles Laurent de Médicis avait puni la conjuration des Pazzi, action sauvage elle-même, Savonarole invoquait et faisait accepter de tout le peuple une loi d’indulgence et de pardon, un oubli de toutes les haines publiques et privées : nouveau témoignage de la noble inspiration qui le faisait agir, et qui n’avait d’autre principal objet que la réforme morale. Guichardin, dont le jugement sur ces temps voisins de lui est si pénétrant, a bien mesuré l’importance et la grandeur de l’acte par lequel Savonarole inaugura son rôle politique, lorsqu’il en parle ainsi : « Florence était de toutes parts divisée ; les partisans de l’ancien état se voyaient en grande haine et en grand péril malgré la protection de Francesco Valori et de Piero Capponi, et il paraissait impossible de les sauver, cela au grand détriment de la cité, car il y avait parmi eux des hommes estimables, prudens et riches, de grande naissance et d’illustre parenté. Les violences qu’on prévoyait eussent engendré la désunion des gouvernans, les révolutions, les exils, et peut-être, pour dernière extrémité, une restauration de Pierre de Médicis avec une extermination et une ruine complètes de la cité. Frère Jérôme lui seul empêcha ces redoutables désordres : il fit décréter la paix, universelle, qui, en coupant court à toute recherche du passé, détourna les vengeances dont étaient menacés