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ne lui parût digne d’être examiné suivant les règles raffinées de la scolastique.

Dès lors il était devenu esclave de ses visions ; à l’entendre, il eût paru souvent croire qu’en elles seules consistait toute l’importance de sa mission ; c’était pour lui un sujet d’étude continuelle et de méditation attentive ; il s’attachait pendant de longues heures à distinguer comment l’action immédiate exercée par les anges produisait les visions, comment se percevaient les voix d’en haut et les signes surnaturels. Cette préoccupation se montre partout, dans ses sermons et dans ses lettres ; mais il a particulièrement rassemblé les résultats de ses réflexions dans son Dialogue de la vérité prophétique, qui est devenu ainsi une sorte de traité ex professo sur la matière. Il a, dans ce dialogue, sept interlocuteurs allégoriques, qui ne sont autres que les sept dons du Saint-Esprit : ils lui adressent des objections, et il s’efforce d’y répondre. La première est celle-ci : « ne se serait-il pas dit prophète pour avoir un moyen d’insinuer plus facilement au peuple les vérités de la foi ? » Il répond avec indignation : « La vérité est une, et tout mensonge est un péché ; grave entre tous serait le péché de celui qui voudrait abuser tout un peuple avec le nom du Seigneur, et transformer de la sorte Dieu même en imposteur. » Mais cette croyance au don de prophétie ne pourrait-elle pas être un effet de l’orgueil déguisé par une apparence de fausse modestie ? — A cela Savonarole répond, en citant l’autorité de saint Thomas : « Cette lumière du don prophétique n’entraînant pas avec elle la justification, sur quoi donc se fonderait mon orgueil ? — Mais n’y a-t-il pas tout au moins erreur involontaire ? — Non, réplique-t-il ; cela ne serait pas possible. Je connais la pureté de mes intentions ; j’ai adoré sincèrement le Seigneur, je ne cherche qu’à retrouver ses traces divines ; j’ai passé les nuits entières dans l’oraison ; j’ai perdu la paix ; j’ai consumé ma santé et ma vie au service de mon prochain ; non, non, il n’est pas possible que le Seigneur m’ait trompé. Cette lumière prophétique, c’est la vérité même ; cette lumière aide ma raison, elle dirige ma charité. » Ainsi donc tantôt le don de prophétie entraîne, suivant Savonarole, l’état de grâce pour celui qui en est doué, tantôt l’état de grâce n’en est pas, à ses yeux, une conséquence nécessaire ; dans d’autres passages, on le voit considérer la puissance de percevoir l’avenir comme un résultat auquel s’élèvent sûrement et par leurs propres forces la charité ardente et la fervente piété. « Je ne suis prophète ni fils de prophète, s’écrie-t-il alors, je ne veux pas de ce nom terrible ; mais je suis sûr que les choses que j’annonce arriveront, parce que je m’appuie sur la doctrine chrétienne et sur l’esprit de charité évangélique. En vérité, ce sont vos péchés, les péchés de l’Italie,