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a donné, on peut le croire, une appréciation définitive. L’Italie se fait grand honneur par de tels travaux, entrepris, au milieu même de ses agitations actuelles, sur les époques et les hommes qui l’ont le plus honorée dans le passé. Nous-mêmes nous ne pouvons mieux témoigner nos sympathies envers un peuple auquel des liens si étroits nous unissent qu’en signalant ces travaux à l’attention publique. Un retour sur le grand rôle de Savonarole avec les lumières nouvelles qui nous sont offertes ne sera pas inutile d’ailleurs pour la connaissance de ce génie italien qui ne s’est montré que trop flexible et trop habile, dans le passé, aux combinaisons politiques, et auquel n’ont pas manqué non plus, avec les infortunes de tout genre, les leçons pratiques de l’expérience.


I

À proprement parler, le rôle religieux de Savonarole ne se sépare pas de son rôle politique ; il le domine sans cesse, il l’explique, et mérite une étude particulière de quiconque aspire à comprendre l’épisode auquel reste attaché le nom de l’éloquent dominicain. Il importe de préciser en quoi ce rôle a consisté. Savonarole a souhaité et tenté d’accomplir une réforme morale, embrassant à la fois la société ecclésiastique et la société laïque, plutôt qu’il n’a rêvé une réforme proprement religieuse. Il n’a jamais eu en effet la pensée de changer le dogme de l’église ; mais il a été témoin d’une profonde corruption morale au sein de l’église et dans le siècle : il en a ressenti une vive douleur, et il a consacré sa vie à combattre ce mal. Telle est la hauteur de son inspiration, telle l’ardeur de sa pitié. Savonarole n’a pas le ferme génie de Colomb ni l’héroïque bon sens de Jeanne d’Arc ; mais il a du moins avec eux, outre la communauté du malheur, celle du dévouement. Avertir l’Italie et l’église, provoquer la réforme de l’une dans sa discipline et dans ses mœurs, dans son chef et dans ses membres, rappeler l’autre à une vie meilleure, montrer à toutes deux l’abîme où elles se précipitent, et les sauver par un prompt réveil, voilà son dessein, qui n’a pas été trop élevé pour son éloquence et pour son zèle.

Il ne faut pas chercher d’autre explication à son entrée dans la vie religieuse ; cette vie nouvelle le marquait du caractère nécessaire à l’accomplissement de sa mission et lui ouvrait la chaire chrétienne. Élevé dans Ferrare par un oncle bel esprit et en faveur à la cour d’Este, Savonarole pouvait, avec son intelligence vive et précoce, devenir un professeur illustre dans la célèbre université de Padoue ou bien un courtisan heureux dans sa propre ville ; mais de bonne heure l’étude assidue de saint Thomas l’avait détourné des sciences profanes aussi bien que des élégances frivoles, et l’horreur