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théâtre : « Si vous êtes contens, applaudissez l’acteur et battez tous des mains. » Suétone ne dit pas si les amis d’Auguste applaudirent, si un sourire effleura leurs lèvres, ou bien s’ils restèrent indifférens à cette frivolité impie ; il est probable qu’ils gardèrent le silence, occupés qu’ils étaient de leurs intrigues du lendemain. Que de rapports d’opposition entre ce récit et celui de l’Évangile ! Le jour où le Sauveur, avant d’expirer sur la croix, prononça la grande parole : « tout est consommé ! » le centurion romain qui se trouvait là ne put s’empêcher de s’écrier : « Cet homme était vraiment le fils de Dieu. » Ce mot ignoble, la farce de la vie, et ce mot sublime, consummatum est, — ce silence des amis d’Auguste et ce cri soudain échappé au centurion, — ce sont là, d’un monde à l’autre, des répliques mystérieuses dont l’historien vulgaire ne s’inquiète pas, mais qui ont plus de prix aux yeux de M. de Lasaulx que les découvertes d’un Niebuhr.

Mais ces répliques, ces rapprochemens étranges, ne sont-ce pas de simples effets du hasard ? — « Libre à chacun d’y voir ce qu’il voudra, répond dédaigneusement M. de Lasaulx ; pour moi, j’y vois une disposition manifeste de la Providence, Tous ceux qui dans l’antiquité ont écrit sur les destinées de Rome, païens, juifs, chrétiens, peu importe, tous ont vu dans cette histoire la main de la Providence ; je me range à leur avis. » Là-dessus., il cite une pensée de Polybe, un trait de Flavius Josèphe, une réflexion de Plutarque, une phrase de Denys d’Halicarnasse, et après que le défilé des païens est fini, on voit commencer le cortège des pères de l’église… Les païens, émerveillés de la grandeur de Rome, affirment que la Providence est là ; les écrivains de l’église, plus explicites, saluent dans l’unité de l’empire une voie divinement ouverte à l’Évangile. C’est l’opinion d’Origène, de Prudence, d’Eusèbe, de saint Jérôme, de saint Augustin, de Paul Orose, de Léon le Grand, de Théodoret, de Pierre Chrysologue, de Maxime de Turin, et rien de plus curieux que ces litanies enthousiastes où les deux Romes, la ville profane et la ville sainte, d’abord opposées et hostiles, finissent par se confondre dans une glorification commune. Il y a deux sources de bien en ce monde, s’écrie Eusèbe, l’empire romain et l’église du Christ. Rome, dit saint Jérôme, a conquis l’univers pour frayer la route aux apôtres ; la prédication du Dieu unique exigeait l’établissement de l’empire unique (apostolorum itineri pervius factus est orbis… et ad prœdicationem unius dei singulare imperium constitutum est). Les docteurs du moyen âge comparaissent à leur tour. Voici saint Thomas d’Aquin avec son livre de Regimine principum, voici le moine allemand Engelbert d’Admont avec son traité de Ortu et Fine romani Imperii, voici Dante avec ses traités politiques