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extraordinaires à toutes les grandes époques de son histoire. Si les scènes de la Bible, au dire des théologiens, sont les figures du Nouveau-Testament, ce n’est pas là, d’après M. de Lasaulx, un privilège qui appartienne exclusivement au saint livre ; les scènes de l’histoire romaine, aux périodes décisives de ses annales, sont aussi les figures de l’Évangile et l’image anticipée de l’humanité chrétienne. Le prophète Isaïe a peint l’homme de douleurs qui souffre pour tout son peuple ; cette peinture, où la théologie chrétienne a vu l’annonce de Jésus-Christ, M. de Lasaulx la retrouve dans le personnage d’Énée, c’est-à-dire dans le fondateur idéal de Rome. Lui aussi a souffert, quoique innocent, et souffert pour son peuple ; Homère, en deux endroits de l’Iliade, lui attribue formellement ce caractère, que développe jusqu’au bout la tradition latine. La résurrection d’Enée et son ascension au ciel, figures voilées des grands tableaux de l’Évangile, reparaissent plus complètement encore dans la résurrection et l’ascension de Romulus. L’histoire du fondateur historique de Rome, comme celle de son fondateur idéal, est toute remplie des présages du Sauveur. Rappelez-vous qu’il est né d’un dieu et d’une vierge, — c’est toujours M. de Lasaulx qui parle ; rappelez-vous les dangers qui menacèrent son berceau, rappelez-vous surtout que la ville fondée par lui et nommée de son nom a été construite pour devenir le refuge ouvert aux proscrits, aux malheureux, aux coupables de toutes les contrées, le refuge des gentils et des pécheurs. Qu’on n’oublie pas non plus les circonstances de sa mort : ad suos venît et sui eum non receperunt. Au moment de l’immolation de Romulus, le ciel se couvrit de ténèbres, et la victime fut transfigurée ; un homme était mort, un dieu ressuscita. Ces ressemblances générales ne suffisent pas à M. de Lasaulx ; il cherche des rapprochemens jusque dans les détails, et on devine quelle est sa joie lorsqu’il découvre parmi les légendes du premier roi des Romains la scène touchante du souper d’Emmaüs. Romulus, le lendemain de sa mort, n’a-t-il pas apparu à l’un des siens nommé Proculus Julius ? « Va, dit le ressuscité à son compagnon, annonce aux Romains la volonté des dieux : dis-leur que ma Rome est destinée à devenir la tête du monde. » Après quoi il disparut dans les hauteurs du ciel, où il règne, dit Tite-Live, comme un dieu fils d’un dieu, et comme père de la cité romaine, deum deo natum, parentemque urbis romanœ. Rapprochant ensuite des textes qu’il est inutile de reproduire ici, l’ingénieux écrivain ne craint pas d’affirmer que Romulus, dans le ciel où la foi romaine l’avait placé, formait une sorte de trinité divine avec Mars et Jupiter Capitolin.

La philosophie de l’histoire romaine, telle que l’entend M. de Lasaulx, nous ménage de bien autres surprises ; ce n’est là qu’une