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à cette veine heureuse et riche de notre vieux théâtre, à cette première forme de la comédie, M. Magnin se complaît et se délecte aux analyses, à celle de la farce du Cuvier et de bien d’autres ; il triomphe dans Patelin, et s’attache un peu trop, je crois, à le vieillir. En le louant selon son mérite, il ne le surfait pas du moins ; il nous le montre le meilleur produit du genre, non l’unique. Combien d’œuvres spirituelles et déjà comiques d’auteurs anonymes il nous fait passer sous les yeux ! Ce sont les coups d’essai de petits Molières restés en chemin et inconnus, mais dont quelques-uns se sont approchés assez près du Molière véritable et immortel. Il ne doit pas y avoir grande distance, j’imagine, entre cette farce si joyeuse du Cuvier et celles du Médecin volant, de la Jalousie du Barbouillé que jouait Molière tout jeune dans ses tournées de province. M. Magnin, toujours curieux jusqu’à être subtil, se pique de distinguer entre des genres bien voisins, de reconnaître les farces qui étaient dues aux basochiens et celles qui appartenaient au répertoire des Enfans sans souci ; il est difficile, en bien des cas, d’établir le distinction et de marquer la limite. Peu importe ; ses remarques n’en sont pas moins fines et justes en tout ce qui est du goût. Il nous fait apprécier comme la perle du genre des Enfans sans souci une petite farce, une parade à un seul personnage, très spirituelle et très amusante, le franc Archer de Bagnolet ; on en ferait encore maintenant un joli lever de rideau du Palais-Royal.

Voilà donc à quoi s’exerçait soir et matin, à quoi songeait tout le jour l’ingénieux érudit. Il faut se garder d’oublier son Histoire des Marionnettes (1852), qui promet pourtant un peu plus qu’elle ne tient. L’auteur a omis, je ne sais pourquoi, d’y joindre des dessins et figures, oubliant trop qu’aujourd’hui il ne se fait plus de livres de ce genre sans gravures à l’appui. C’est une lacune.

Et maintenant nous sommes en mesure, ce me semble, de nous faire une idée complète de cette nature d’esprit peu caractérisée au premier coup d’œil, si répandue, si éparse même, mais qui a sa nuance et son grain d’originalité.

Les dernières années de M. Magnin, nous devons le dire, furent marquées par des changemens profonds que nous n’avons à juger en aucun cas, et qui ne le laissèrent pas tout à fait le même que nous venons de le montrer. Sa santé, de tout temps délicate, était devenue déplorable. L’idée de la mort, d’une mort très prochaine, lui était continuellement présente. Un jour, dix ans environ avant sa fin, lui, l’esprit de tout temps le plus net et le moins mystique, il revint de Franche-Comté, — de Besançon, je crois, — tout modifié de cœur et de pensée. Il fit part à quelques-uns de ses amis les plus intimes de cette véritable conversion : « Mes amis, leur