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le voir y entrer et s’y asseoir à ses côtés, ce qui semblait alors fort peu probable, à titre de collègue. Je ne crois pas rêver à cette distance, et il me semble que, sauf rectification, mes souvenirs ne me trompent pas : la petite comédie se passa à très peu près comme je viens de la raconter, à la chinoise.

L’avènement ou le développement de l’école poétique amena, vers 1828, une légère division dans l’école critique du Globe. M. Magnin fut de ceux qui se montrèrent le plus disposés à comprendre et à aider les poètes, sans leur rien céder pourtant de ses droits comme juge. Il se laissa mettre très au fait du procédé, des intentions et du faire de l’école de MM. Hugo, de Vigny, et tout en réservant son indépendance il se plaçait pour l’examen des œuvres au point de vue des auteurs ; il leur appliquait les règles et les principes d’après lesquels ils avaient désiré être jugés eux-mêmes. Combien de fois, en ces années d’ardeur et de zèle, à la veille ou au lendemain de quelque publication de nos amis les poètes, ne suis-je pas allé trouver le soir M. Magnin dans cette petite rue Serpente où il était alors (avant d’avoir son logement à la Bibliothèque) ! Il habitait juste en face des frères de Bure ses parens, et dans la même maison que sa grand’mère Mme Saugrain. Chaque fois, vers neuf heures du soir, il me laissait un moment pour aller assister au coucher de sa grand’mère, à laquelle il consacra jusqu’à la fin les soins les plus respectueux et les plus tendres. Quand il allait dans le monde, il ne sortait qu’après lui avoir rendu ces derniers devoirs de la journée et lui avoir donné le bonsoir filial, et il n’avait pas moins de trente-cinq ans alors. Il avait reçu d’elle toutes les recommandations et les traditions de la plus exquise politesse bourgeoise. Il ne quitta cette étroite et sombre rue Serpente, où le jour manquait, qu’après la mort de l’aïeule. Souvent donc j’allais ainsi de moi-même, et pour le disposer en faveur de mes amis les poètes, trouver à l’avance M. Magnin ; je lui exposais de mon mieux les grands desseins des chefs et aussi les détails de la poétique nouvelle où je me complaisais : il m’écoutait avec sérieux, patiemment, m’offrant l’esprit le plus libre, le plus ouvert. On eût dit d’une table rase sur laquelle on aurait écrit ; mais il partait du point même où je me plaçais pour faire aussitôt l’objection ou l’application précise de sa critique et de la nôtre. On le trouvait aussi ferme que modeste.

M. Magnin eut l’honneur de rédiger au Globe les feuilletons et les bulletins d’Hernani : c’est de lui (sans compter le grand article qui suivit), c’est de lui que sont les entre-filets des 26 et 28 février 1830, tout haletans, tout fumans, tracés le soir à minuit, sur un coin de table à l’imprimerie, au sortir d’une représentation brûlante. Quel dommage, pour l’histoire littéraire du temps, que tout