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des imprécations, blâment l’empereur. Étrangers et Russes hurlent à grand orchestre. Ils me font aussi l’honneur de m’accabler de leur haine en me proclamant défenseur de notre cause et conseiller intime de l’empereur. Malgré ce déchaînement, j’espère que les choses viendront à une fin passable… » Expression exacte et animée de cette confusion de Vienne !

Que l’empereur Alexandre ait été sincère dans ses bons mouvemens pour la Pologne, dans les combinaisons qu’il faisait consacrer par la diplomatie et qu’il complétait par une constitution libérale, on n’en peut guère douter, et il le prouvait en envoyant le prince Adam Czartoryski à Varsovie pour travailler à l’organisation du nouveau royaume, en lui remettant des instructions qu’il l’autorisait à produire au besoin pour donner plus de force à ses conseils. Malheureusement l’empereur Alexandre, après avoir créé le royaume de Pologne, le livrait aux caprices despotiques de son frère le grand-duc Constantin ; il se croyait en règle avec lui-même en continuant à manifester des vues bienveillantes et libérales sans trop s’inquiéter de ce que devenait la réalité, et ici commençait une situation nouvelle où tout était contradiction, qui n’a fait que s’aggraver pendant quinze ans. L’empereur voulait le bien de loin ; il voulait que son œuvre fût respectée, que les Polonais fussent satisfaits et gouvernés avec justice, et à Varsovie tout allait à la russe. Les lois restaient inexécutées, la constitution n’était qu’une vaine et pénible comédie. Le grand-duc Constantin étonnait et effrayait par les violences de son humeur fantasque. Un jour un habitant, pour je ne sais quel léger manquement, était enfermé ; on lui rasait les sourcils et les cheveux, et on lui administrait cinq cents coups de bâton. Des officiers de l’armée brutalement offensés étaient réduits à se brûler la cervelle. Les lettres incessantes du prince Adam à Alexandre sont le curieux reflet de cette étrange expérience du régime constitutionnel en Pologne. Témoin impuissant de toutes ces violences, le prince Adam écrivait à l’empereur : « Sire, au risque de déplaire, je dois parler avec franchise… Le grand-duc paraît avoir pris en haine ce pays et tout ce qui s’y passe ; l’armée, la nation, les particuliers, rien ne trouve grâce à ses yeux. La constitution surtout est matière à sarcasmes continuels : tout ce qui est règle, forme, lois, est hué et couvert de ridicule… On dirait qu’il y a un plan formé pour contrecarrer les vues de votre majesté et rendre illusoires ses bienfaits. Son altesse impériale serait dans ce cas, sans le savoir, l’instrument aveugle de cette conception qui tendrait à exaspérer également les Russes et les Polonais, et à frapper de nullité les paroles les plus solennelles de votre majesté… » Un autre jour, un peu plus tard, le prince Adam écrivait encore : « Une idée