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flatté peut-être de pouvoir, comme Napoléon, s’appeler empereur et roi ; elle existait pourtant, elle survivait à la guerre, et c’était encore une dernière chance pour la Pologne, retombée sous la loi de la conquête et mise au rang de tous ces territoires que les vainqueurs allaient se distribuer. Toutes les pensées d’Alexandre sur ce qu’il appelait la régénération de la Pologne ne se réalisèrent pas. Elles étaient combattues par la diplomatie, qui ne voyait dans l’annexion du duché de Varsovie à la Russie qu’un agrandissement démesuré, et dans la création d’un royaume de Pologne que la menace d’une prépondérance russe substituée à la prépondérance française, une ambition déguisée sous une forme libérale ; elles étaient plus vivement combattues encore par les Russes, excités contre les Polonais par tous les souvenirs de la guerre, exaltés dans leur orgueil, portés d’ailleurs par instinct à redouter toutes ces combinaisons libérales qui créaient des droits, des espérances, un antagonisme de situations là où ils ne voyaient qu’une domination à établir et un pays conquis à absorber.

Ce qui sortait de cette crise et de tous les débats diplomatiques de Vienne, c’était du moins ce qui s’est appelé l’œuvre de 1815 : un royaume séparé et distinct pouvant s’étendre aux provinces polonaises plus anciennement incorporées à la Russie, une constitution libérale, une armée nationale, la langue respectée, les fonctions exercées par les Polonais, une autonomie complète, un cadre et un premier noyau de nationalité, et ici se retrouve l’influence du prince Adam, ramené par les événemens auprès de l’empereur de Russie. Par un retour singulier de fortune, celui qui avait été pour Alexandre un confident de jeunesse, à qui il s’était adressé comme à un négociateur avant la lutte, et dont il avait été tout près d’être séparé à jamais, se retrouvait après la guerre un ami, un conseiller écouté. Le prince Adam avait suivi Alexandre à Vienne, il le voyait à tout instant, et c’est lui qui inspirait ces combinaisons où il faisait entrer le plus qu’il pouvait de sa pensée nationale. Tout ce mouvement de Vienne est décrit dans une lettre du prince à son père : « Les affaires politiques se sont embrouillées dès le commencement, disait-il ; on s’est embourbé dès le premier pas, et on ne sait pas en sortir. D’abord c’est la Pologne que tout le monde dispute à l’empereur Alexandre, puis c’est la Saxe que le roi de Prusse voudrait avaler. Vient après l’Allemagne, toute décousue et mécontente. Enfin c’est l’Italie, qui déteste les Autrichiens, auxquels on la livre. Les deux premiers sujets occupent principalement l’attention générale. L’empereur Alexandre, mal servi par les siens, tracassé par les autres, tient cependant ferme… Tous les cabinets sont contre lui, personne n’ose dire un mot en notre faveur. Les Russes vomissent