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Rien ne peint mieux peut-être ces conflits intérieurs et ces alternatives cruelles qu’une lettre dramatique, entrecoupée, de la princesse Czartoryska, mère du prince Adam, à son fils. « Ah ! mon cher ami, lui écrivait-elle, une des grandes privations que j’éprouve, c’est que je ne puis plus espérer. Non, l’espérance est morte dans mon cœur. Trente ans de malheurs de tout genre, chaque époque où l’on croyait voir luire un rayon de bonheur suivie d’une déception, à côté de cela toujours des ruines, des malheurs, des pertes, toujours en butte à une sorte de haine… Ah ! mon cher ami, je vous le répète, je n’espère plus rien. Tant de gens veulent la mort de cette Pologne, de cette patrie que vous savez, qui pour moi est la chose principale !… Que n’avons-nous pas fait pour relever la Pologne ! Bravoure sans exemple, dévouement jusqu’au délire : qu’ont-ils produit ?… » C’est cette même femme, au cœur sincèrement passionné et dévoué, qui bientôt après, voyant les désastres s’accumuler et apprenant la mort du brillant Joseph Poniatowski, écrivait encore à son fils Adam pour le détourner de tout : « Pauvre Pologne ! celui qui ne saurait être remplacé par personne nous est ravi à jamais !… Et vous, qu’avez-vous besoin d’aller à Varsovie ? Vous n’y ferez rien qui vaille, vous n’y obtiendrez rien. Tout y est sourd et dur comme la pierre. Retournez plutôt à Pulawy ; cultivez-y votre terre, elle saura récompenser votre labeur, tandis qu’en vous aventurant où l’on cherche à vous pousser, vous ne récolterez que des chagrins… »

La vérité est que la position du prince Adam Czartoryski était aussi étrange que difficile en face de cette crise de 1812 qui était venue rejeter dans l’ombre les propositions de l’empereur Alexandre et qui mettait en lutte ses sentimens de patriote et d’ami. D’un côté tout le rattachait à la cause nationale. Son père, le vieux prince Adam-Casimir, qui avait plus de quatre-vingts ans, avait été acclamé président de la confédération à Varsovie, son frère Constantin servait comme colonel à la grande armée, son beau-frère le comte Zamoyski était un des chefs du mouvement, lui-même il suivait de tous ses vœux la renaissance de son pays et se tenait prêt à envoyer son acte d’accession à la confédération ; mais en même temps, par une délicatesse supérieure, il sentait qu’il devait à une ancienne amitié de ne rien brusquer, de ne point donner à son patriotisme une forme blessante. C’est à l’empereur Alexandre lui-même qu’il demandait de lui rendre la liberté, en l’affranchissant définitivement du service ; il avait déjà plusieurs fois fait cette demande, toujours éludée : il la renouvelait et il finissait par dire avec une émotion triste, mais résolue, que s’il ne recevait point une réponse dans un délai déterminé, il se considérerait comme libre.