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dans des conditions romanesques, qui continuait à travers toutes les complications du commencement de ce siècle, se retrouvait vivante et active jusque dans les combinaisons de 1815, et ne finissait que lorsqu’il n’y avait plus d’espoir. C’est évidemment le dernier mot des transactions possibles entre la Russie et la Pologne. Voici en effet un souverain tout plein d’aspirations généreuses, qui a pu être appelé un accident en Russie, et le Polonais le plus modéré, le plus loyal dans la mesure d’un patriotisme invariable, — deux hommes rapprochés étrangement par la fortune, caressant avec une manifeste sincérité le même rêve, s’essayant de leur mieux aux mêmes projets de réparation et de conciliation. À quoi sont-ils arrivés ? C’est justement l’épisode qui se ravive tout entier dans les lettres jusqu’ici inconnues de l’empereur Alexandre Ier et du prince Czartoryski, dans les mémoires moins connus encore du vieux proscrit polonais, dans cet ensemble de documens dont la lumière, en éclairant une existence de droiture et d’honneur, rejaillit sur tout un ordre d’événemens, de possibilités ou d’impossibilités contemporaines.

C’est l’idéal lointain et évanoui d’une régénération polonaise par la bienveillance et l’équité réparatrice, par une diplomatie généreuse ou chimérique si l’on veut, d’une paix conçue et négociée pendant vingt ans dans les circonstances les plus extraordinaires, ébauchée à l’origine dans le mystère d’une intimité sincère entre deux hommes singulièrement rapprochés, l’un n’étant rien encore qu’un adolescent impérial promis au pouvoir le plus absolu, l’autre jeté tout à coup dans une cour ennemie et ressentant comme une blessure sacrée le désastre récent de sa patrie, tous deux réduits à se cacher pour mettre en commun leurs rêves et leurs désirs de justice. Cette tentative a fini par une déception, elle commençait comme un roman à une heure cruelle. C’était sous le coup même du dernier partage, de la prise d’armes de Kosciusko et de sa défaite à Macieiowice, de la dévastation des provinces polonaises, de la disparition du nom de la Pologne, de l’incarcération ou du bannissement de tout ce qui était patriote, de la confiscation étendue aux biens des plus grandes familles, de toutes ces choses en un mot qui semblaient faire croire que tout était fini. On avait essayé de sauver du naufrage la fortune du vieux prince Czartoryski : « Qu’il m’envoie ses fils, puis nous verrons ! » avait répondu la toute-puissante spoliatrice Catherine. Qu’on se représente donc le jeune prince Adam contraint par devoir à ce rôle ingrat, entrant avec son frère Constantin, le 12 mai 1795, à Saint-Pétersbourg, le cœur serré, comme un exilé, comme un otage, obligé de paraître et de vivre dans un monde où tout lui rappelait la force victorieuse et l’oppression. Il