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prodigieux et rompant avec toutes les considérations de politique régulière, ceux-là s’adressant à l’Europe, s’efforçant de réveiller le sentiment souverain d’un intérêt universel, bien souvent déçus, jamais désespérés et toujours prêts à reprendre cette grande négociation de la renaissance de leur pays. Tout a été essayé, rien n’a réussi, et le vieux problème n’a cessé de subsister, de grandir, de se dégager de toutes les expériences avec une netteté plus redoutable, retrouvant périodiquement à leur poste ceux qui n’ont cru qu’à l’action et ceux qui ont cru à la diplomatie, aux influences morales, — les uns et les autres finissant par se rejoindre dans la même pensée et plaçant leur foi, leur constance au-dessus des revers du moment.

Un jour, vers la fin de la dernière guerre d’Orient, un homme demeuré jusqu’au bout le type respecté et pur de cette infatigable diplomatie nationale de la Pologne était au travail dès le matin et préparait une défense nouvelle des droits de son pays, lorsqu’un de ses compatriotes venait frapper chez lui en lui disant : « N’entendez-vous pas ? c’est le canon qui annonce la paix ! » Le vieux patricien s’arrêtait un instant affaissé, attristé et secouant sa tête pleine de souvenirs, puis il se remettait à l’œuvre. « A quoi bon continuer ? reprenait-on. Il n’y a plus rien à espérer pour nous aujourd’hui. — Ah ! n’importe, répondait-il, il faut continuer, cela pourra servir une autre fois… » Celui qui parlait ainsi, et qui, âgé de près de quatre-vingt-dix ans, élevait encore sa foi au-dessus d’une déception nouvelle, ne croyait plus visiblement aux transactions ; il ne voyait de chances que dans une lutte où l’Europe aurait le droit d’exiger comme rançon de sécurité publique la réparation d’une grande injustice ; il en était venu, comme tous les Polonais, à la plus incurable méfiance à l’égard de la politique russe. Et pourtant c’était l’homme qui dans sa jeunesse avait personnifié l’idée d’une conciliation entre une Pologne renaissante et la Russie sous un même sceptre ; bien mieux, il avait trouvé pour complice un prince jeune comme lui, qui allait être un des plus puissans souverains, l’antagoniste heureux de Napoléon lui-même. C’était l’homme qui avait été l’ami, le confident, le coopérateur préféré de l’empereur Alexandre Ier avant d’être la victime de l’empereur Nicolas et le fier émigré qui ne croyait plus ni aux vaines amnisties ni aux promesses trompeuses. De cette multitude d’épisodes dont se compose la vie polonaise, je ne sais s’il en est un plus curieux, plus significatif, plus propre même à éclairer les événemens d’aujourd’hui, que cet épisode des rapports de l’empereur Alexandre Ier et du prince Adam Czartoryski, de cette tentative de libéralisme concertée comme un complot entre un tsar et un jeune patriote polonais, de cette amitié qui se nouait