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dans le pays natal, dans la race, dans le foyer aimé, ne semble-t-elle pas l’avoir frappée ? C’est que Mme Penquer s’est nourrie de mots avant d’avoir vécu et pensé :


À l’âge où les enfans maudissent les études,
.................
À l’âge où le cœur dort, où l’esprit se mutine,
Moi, je savais déjà des vers de Lamartine.


De là ce besoin de rimer sans cesse, en s’abandonnant aux caprices d’une imitation qui s’ignore ; de là une poésie aisée et molle, que nulle saine discipline ne contient. Le vrai poète, dit l’auteur naïvement,


C’est celui dont le vers est libre, audacieux,
Sans effort et sans frein, sans travail, sans rature.


Mme Penquer n’imagine pas un moment les difficultés que l’artiste doit vaincre pour émanciper le poète. Elle est punie pour avoir pris trop à la lettre ce précepte qu’elle émet quelque part :


Tous les jours tu liras des vers de Lamartine.


Elle eût rencontré mieux et trouvé plus de vers dignes d’être retenus, si elle fût restée fidèle aux sentimens exprimés dans ce passage :


Ô vallon de l’Aven, où le mûrier sauvage
S’enlace au jonc noueux qui croit sur le rivage !
Ô sentiers ombragés ! ô rochers ! ô menhirs !
Je vous dédie ici mes meilleurs souvenirs !


Nous en étions là de nos lectures, cherchant quelque brin de fraîche poésie et n’apercevant guère que des fleurs fanées, lorsqu’un petit volume de modeste apparence est tombé sous nos yeux. Le Roman de la vingtième année[1] est un recueil d’une soixantaine de pages, ne contenant que de courtes pièces de vers ; mais l’auteur, M. Francis Pittié, est dans ce peu de rimes plus réellement poète que tous les rimeurs dont nous avons cité les essais. Il est vrai que la moitié peut-être du recueil se compose de traductions ou d’imitations des poètes étrangers, des poètes allemands surtout : Louis Uhland et Henri Heine ont bien inspiré le jeune poète. Là aussi brillent les noms de Goethe, de Rückert, de Petoefi, d’OEhlenschlaeger et de Miçkiewicz. Il serait curieux de comparer l’imitation d’une poésie de Burns, Nannie, donnée par M. Pittié, avec l’imitation du même morceau par M. Leconte de Lisle. L’illusion déçue, traduite bien des fois, rappelle la charmante version d’Alfred de Musset, le Rideau de ma voisine. C’est une tendance caractéristique de notre temps que ce besoin de traduire

  1. Le Roman de la vingtième année, suivi de Notes poétiques (1851-1855), par M. Francis Pittié. — Claude Vanier, 1862.