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de nos conteurs. Il le laisse aller au hasard, et nous lui reprocherons encore d’être prolixe et terne où il faudrait être vif, enjoué, tout au moins facile, ce qui ne veut pas dire incorrect. Un écrivain soucieux de la langue ne dira jamais, sous prétexte de style familier :


....L’hôtellerie
Était bien humble et dépérie.


Reproduire jusqu’aux gaucheries gothiques des œuvres du moyen âge, c’est un peu trop d’exactitude dans l’imitation.

Essayons d’un autre volume. Mme  Penquer, l’auteur des Chants du Foyer[1], est une Bretonne ; mais elle ne s’inspire pas de Brizeux, tant s’en faut. C’est M. de Lamartine qu’elle adopte pour dieu et qui lui témoigne le désir « de voir de si beaux sentimens reproduits, non-seulement pour lui, mais pour la poésie et pour la France. » La poésie et la France doivent-elles des actions de grâces à Mme  Penquer ? Franchement il nous paraît que non. Bien que M. de Lamartine lui ait dit (ne s’exagère-t-elle pas les choses ?) :


....Madame, il faut ouvrir votre aile !
L’avenir vous prépara une page immortelle !


nous doutons de cette aile et de cette page ; nous aurions cependant prêté l’oreille aux humbles prémisses de Mme  Penquer, si elle n’avouait dans une post-face, qui n’est pas humble, que ce a faible embryon » voudrait « cueillir des lauriers ; » si, en le nommant un « pauvre mendiant » et un « petit aveugle-né, » elle ne le nommait aussi un aiglon ; si elle ne le léguait enfin (sans se mettre en peine d’accorder toutes ces métaphores) :


À ceux qui marchent sur la terre,
À ceux qui planent dans l’azur.


Nous ignorons ce que peuvent en penser les élus qui planent dans l’azur ; pour nous qui marchons sur la terre, nous n’acceptons le legs de cet aiglon que sous bénéfice d’inventaire. À parler net, Mme  Penquer, dont le vers est harmonieux et souvent bien venu, en eût tiré un tout autre parti, si elle se fût rendue l’interprète des beautés poétiques de la Bretagne, qu’elle appelle « ma triste Bretagne. » Le meilleur de ce qu’elle offre au public est dans trois ou quatre pièces qui ont un peu de la saveur du pays, comme Kérouartz, l’Ange du château de Penmarch, la Ferme, l’Aven ; mais l’auteur reflète plutôt d’habitude la phraséologie des Harmonies et de Jocelyn qu’il n’exhale des sentimens bien personnels. On s’aperçoit que la fluidité de cette poésie ne laisse rien après elle. Comment tout ce qui entourait l’auteur, tout ce qu’on cherche si loin et qui est si près quelquefois, comment l’originalité, absente des nuages, des étoiles et de l’immensité, présente

  1. Chants du Foyer, par Mme  Auguste Penquer. — Didier, 1862 (seconde édition).