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l’espèce[1], parlé avec beaucoup de faveur des théories de M. Darwin, sans les admettre toutefois dans leur entier. Un des passages de cette étude renferme une attaque très résolue contre les partisans des créations directes. « La probabilité de la théorie de l’évolution devrait frapper surtout les hommes qui ne croient pas à la génération spontanée et ceux qui répugnent à l’idée d’une force créatrice, aveugle ou capricieuse, ayant donné aux mammifères du sexe masculin des mamelles rudimentaires inutiles, à quelques oiseaux des ailes qui ne peuvent servir à voler, à l’abeille un dard qui la fait mourir, si elle l’emploie pour sa défense, au pavot et à plusieurs campanules dont la capsule est dressée une déhiscence de cette capsule vers le sommet qui rend sa dissémination difficile, aux graines stériles de beaucoup de composées une aigrette, et aux graines fertiles point d’aigrette, ou souvent une aigrette qui se sépare de la graine, au lieu de la transporter. Toutes ces singularités, tranchons le mot, ces défauts, répugnent et embarrassent dans la théorie d’une création directe des formes telles que nous les voyons, ou telles qu’on les a vues à l’époque du trias ou du terrain miocène ; mais il en est autrement dans le système de l’évolution. Ces inutilités ou ces défectuosités, d’organisation seraient pour chaque être un héritage d’aïeux à qui elles profitaient, dans des conditions d’organisation plus ou moins différentes, avec des ennemis différens ou des conditions physiques d’une autre nature. L’héritage est-il devenu inutile ou même nuisible, les espèces s’éteignent. Leur organisation primitive les a fait prospérer autrefois, elle les fait décliner aujourd’hui, et finalement s’éteindre, de même que certaines grandes qualités d’un peuple ou certains avantages naturels qui le faisaient prospérer jadis lui deviennent quelquefois inutiles, même nuisibles, au point de le faire périr. Les anomalies rentrent alors dans une grande loi, et je trouve naturel que des hommes fort éloignés des idées matérialistes, ayant même une tendance prononcée vers d’autres opinions, préfèrent la doctrine de l’évolution, et s’attachent plus ou moins aux doctrines ou aux études par lesquelles on s’efforce de la démontrer. »

Si l’on admet la théorie de la transformation ou de l’évolution des espèces, quelles conséquences faut-il en tirer en ce qui concerne l’homme ? C’est à ce point qu’il faut revenir. Une loi qui embrasse toute la nature animée peut-elle expirer en quelque sorte à ses pieds ? Mais, d’autre part, s’il est, comme tout le reste, soumis à son empire, quelles sont donc les espèces qui sont les aïeules de la nôtre ? Où nous faut-il chercher ces êtres dont la chair est notre

  1. Étude sur l’espèce, à l’occasion d’une révision de la famille des capulifères, par M. Alph. de Candolle.