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plus optimistes sur les rapports qui pourraient s’établir entre eux et l’église. Dès la fin du IIe siècle, l’évêque Méliton de Sardes parlait un merveilleux langage de courtisan dans une supplique adressée au souverain. On remarquait avec une certaine complaisance que l’église et l’empire étaient nés à peu près en même temps, comme si Auguste et le Christ eussent été jumeaux. Qu’était devenu le temps où le premier empereur n’était que la première tête du monstre aux sept têtes suscité par le diable pour tourmenter les saints ? L’Antéchrist n’était plus assis sur le trône des césars, et qu’arriverait-il si l’un de ses successeurs, devenait chrétien lui-même ? L’épiscopat séduisit Constantin, mais on peut ajouter qu’il fut lui-même fasciné par le prestige impérial. Rien de plus curieux que la promptitude avec laquelle, au lendemain des terribles persécutions de Décius et de Dioclétien, les évêques se firent les intrépides flatteurs du pouvoir qu’ils abhorraient la veille. Ils ne semblent pas avoir soupçonné dans quelles complications ils engageaient l’église de l’avenir.

En résumé, le christianisme fut vainqueur, mais le paganisme ne se rendit pas à discrétion. La réaction momentanée de Julien prouva tout à la fois qu’il était bien mort, et que pourtant il fallait accepter ses conditions, si l’on voulait l’enterrer. L’église au fond ne le détruisit pas, elle l’absorba.

Il faut clore ici cette esquisse d’une vaste théorie dont nous n’avons voulu reproduire que les élémens principaux. Si l’on a bien suivi cet enchaînement continu de causes et d’effets qui relie les événemens isolés et leur donne à chacun sa valeur proportionnelle, on a dû saisir ce qui, selon l’école de Tubingue, forme le grand ressort de l’histoire. C’est la contradiction. Un principe ne dévoile ce qu’il contient qu’en se heurtant contre une puissance contraire. La contradiction, à son tour, marche vers une synthèse dans laquelle le terme vainqueur fait droit jusqu’à un certain point au terme opposé, et qui sert de nouveau point de départ à de nouvelles évolutions. La tâche de la philosophie de l’histoire est donc de rechercher comment les contraires se rapprochent, en indiquant, les moyens termes qui résolvent peu à peu la contradiction première, c’est d’exposer die Vermittelung der Gegmsätze, ce qui concilie les antithèses. On reconnaît ici la loi du devenir hégélien appliquée à l’histoire, trouvant sa confirmation dans les faits lorsqu’ils sont connus, aidant à les reconstituer quand ils ne le sont pas. En même temps il faut avouer que les réalités concrètes ne sont plus supprimées, comme c’était le cas dans les théories historiques de l’hégélianisme pur. L’idée se déroule, mais ses porteurs, ses organes, vivent, sentent, agissent bien réellement.