Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apostasies en masse. La tolérance reprit toutefois un moment le dessus, et même il paraîtrait que Dioclétien, esprit fort sensé, ne se décida qu’avec peine, entraîné par Galérius, à lancer les fameux édits qui ont si tristement illustré son règne. Quand il s’y fut enfin résolu, il ne voulut pas faire les choses à demi, et tout un système fort savant de vexations et de supplices fut appliqué par tout l’empire à l’extirpation du christianisme. Le plan avorta. La chrétienté était déjà trop nombreuse. Signe visible d’une situation totalement changée ! les païens eux-mêmes ne persécutaient plus que mollement. Les reniemens étaient régulièrement suivis de réintégrations moyennant pénitence. Les martyres avaient fait plus de bien que de mal à l’église. En 311, Constantin, Licinius, Galérius lui-même, avec des sentimens fort opposés, tombèrent d’accord sur la nécessité politique de tolérer le christianisme. Les considérans de l’édit promulgué à cette occasion sont des plus curieux. Ils partent du fait que les chrétiens, forcés par la terreur de renoncer à leur foi, n’étaient pas devenus meilleurs païens pour cela. Il fallait donc les laisser retourner en paix à leurs rites. Il leur était ordonné, dans toute la force du terme, de redevenir chrétiens. Leur religion, vieille déjà de trois siècles, était passée à son tour à l’état d’institutio veterum. La politique romaine à la fin s’inclinait donc devant un fait accompli. Constantin n’eut pas besoin du miracle du labarum pour passer lui-même au christianisme. Sa conversion fut-elle sincère ? Il est permis d’en douter. Ce qui est certain et ce qui donne à sa résolution une sorte de reflet religieux, quelque chose de solennel, c’est qu’il se soumit à la révélation de l’histoire et reconnut le doigt de Dieu dans les signes des temps.

Du côté chrétien, depuis que les apologistes platoniciens avaient reconnu les élémens divins disséminés dans le vieux paganisme, n’avait-on pas fait aussi des pas significatifs dans le sens du rapprochement ? Évidemment oui. D’abord la défaite du montanisme, tendance réactionnaire de la seconde moitié du IIe siècle, amie du rigorisme et opposée à l’épiscopat, avait en quelque sorte consacré un relâchement moral, regrettable à beaucoup d’égards, mais absolument nécessaire, si l’on voulait que la multitude entrât dans la société chrétienne. Certainement la moralité générale gagnait aux progrès du christianisme, mais il y avait désormais avec le ciel beaucoup d’accommodemens dont l’épiscopat avait le secret. Le culte abandonnait peu à peu son austérité primitive, se faisait cérémoniel, pompeux, sacerdotal. Le baptême et la cène se rapprochaient visiblement des mystères et s’en appropriaient en grande partie le vocabulaire. En même temps les sombres doctrines de la fin prochaine de l’empire et du monde faisaient place à des vues beaucoup