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rapproche le plus du point de vue apocalyptique. Justin ne voit pas de différence spécifique entre les anges et le Verbe. Tous subordonnent fortement le Fils au Père. Les Homélies Clémentines professent un dogme très semblable à ce qui s’appellera plus tard l’arianisme ; mais cette marche ascendante ne s’arrête pas, et la théorie du quatrième évangile lui donne enfin une expression définitive,… définitive du moins en ce sens qu’on ne reviendra pas sur elle ; mais on la dépassera. En fait, le Verbe de l’évangile johannique est encore et très nettement inférieur à Dieu. Cela d’ailleurs était conforme à la spéculation philosophique, qui n’avait stipulé la nécessité du Verbe que parce qu’elle ne pouvait concevoir comment la perfection absolue était en rapport immanent, immédiat, avec le monde imparfait et matériel. Il lui fallait donc un être intermédiaire qui fût dieu sans être Dieu, ou, comme disait Philon, un dieu de second ordre. Telle est encore l’opinion de Tatien, de Théophile d’Antioche, de Tertullien, qui fixent le moment de la projection du Verbe hors de l’essence divine à celui qui précède immédiatement la création. Athénagore, Irénée, Clément d’Alexandrie, aiment mieux ne pas déterminer ce moment. Origène, le plus grand nom de la théologie dans cette période, le premier auteur d’un vaste système de philosophie chrétienne, tâche, au moyen de la préexistence des âmes, dont il est grand partisan, de concilier avec l’humanité réelle du Christ son union essentielle avec Dieu et son activité dans l’histoire antérieure au christianisme.

Alors cependant un autre grand intérêt chrétien, celui du monothéisme, commençait à se sentir menacé. De là ces protestations continuelles de l’unitarisme des IIe et IIIe siècles, qui s’appelle monarchique, et s’efforce de plusieurs manières de maintenir l’unité rigoureuse de Dieu, soit qu’avec Praxéas, Noët, Sabellius, il efface la distinction réelle du Père et du Fils pour ne plus voir dans ce dernier qu’une manifestation directe de Dieu sous forme humaine, soit qu’avec Théodote de Byzance et Artémon il oppose au Christ johannique l’homme miraculeusement né des trois premiers évangiles, soit enfin qu’avec Bérylle de Bostra et Paul de Samosate il préfère une théorie qui se rapproche beaucoup de l’unitarisme moderne. Toutes ces oppositions, qui se perpétuèrent pendant le IIIe siècle, devaient se concentrer, dès le commencement du IVe, dans la grande querelle de l’arianisme. On peut prédire, en voyant dans quel sens le dogme va se prononçant toujours plus, la défaite longtemps balancée de l’arianisme, qui voulait maintenir l’infériorité du Fils relativement au Père. Une fois le paganisme vaincu, les préoccupations inquiètes du monothéisme ne devaient plus trouver le même écho. L’orthodoxie des grands conciles, en définissant l’égalité absolue du Père et du Fils en même temps que leur distinction personnelle, sans reculer