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La graine semée soulève, s’il le faut, les pierres qui s’opposent à sa croissance. Il était impossible que parmi ces Nazaréens il n’y en eût pas qui comprissent combien la religion intérieure et purement spirituelle dont Jésus avait été l’initiateur était opposée en principe aux exigences de la loi traditionnelle. Le fait est que les hommes qui surveillaient d’un œil jaloux les progrès de la communauté nazaréenne n’avaient pas tardé à voir dans ce parti le foyer d’une tendance anti-légale fort dangereuse. Un surtout, nommé Saul de Tarse, jeune rabbin passionné pour les questions religieuses et plein de foi dans la mission divine de son peuple, avait senti, avec la pénétration du génie, qu’un messie crucifié n’était pas seulement une absurdité innocente, que c’était le renversement radical de tout l’édifice du judaïsme. Ou bien la loi, ou bien la croix avait tort ; il n’y avait pas de milieu. De là son animosité contre l’hérésie naissante, et Étienne, le premier martyr, périt bien moins parce qu’il se disait disciple de Jésus de Nazareth que parce qu’il « avait proféré, disaient ses accusateurs, des paroles blasphématoires contre le temple et contre la loi. » Saul de Tarse ne se trompait donc pas. Il y avait bien évidemment parmi les chrétiens de Jérusalem un esprit de critique dissolvante dirigé contre le principe même du judaïsme. La persécution signalée par le martyre d’Étienne eut pour résultat de disséminer dans les pays voisins ceux d’entre eux surtout qui participaient à cet esprit d’innovation. Un nombre assez considérable de ces adversaires de la loi juive se réfugièrent dans Antioche, capitale de la province, et là, dans cette grande ville, grecque de langue et de mœurs, plus libres dans leurs mouvemens, n’observant plus les formes particulières du judaïsme, ils formèrent la première église admettant directement les païens dans son sein, et c’est là aussi que naquit le nom chrétien, inconnu jusqu’alors.

Peu de temps après, les disciples de Jérusalem et d’Antioche apprenaient avec une joie mêlée de stupeur que leur plus terrible ennemi, ce Saul qui les persécutait avec tant d’acharnement, était devenu subitement un des leurs. Une brusque révolution s’était opérée en lui : non pas toutefois qu’il eût précisément abjuré le point de vue sous lequel, dès le premier jour, il avait envisagé le christianisme. Ou la loi, ou la croix ! disait-il, et, fanatique de la loi, il avait juré haine à mort à la croix. Le dilemme était resté, mais le choix était tout autre. C’était maintenant la croix qu’il aimait de toute la force de son âme ardente. L’un des traits les plus merveilleux de cette merveilleuse histoire du christianisme primitif, c’est que ses plus grands adversaires ont mieux discerné sa portée réelle que ses tout premiers disciples.

Saul, qui désormais s’appelle Paul, peut être considéré comme le second fondateur du christianisme. C’est lui qui dégagea le fruit