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successeurs leur infaillibilité doctrinale, ou bien que ce privilège eût été borné à leurs personnes, il était certain, dans tous les cas, que l’unité de la doctrine et du culte avait dû régner dans l’église enseignée et dirigée par eux. L’inspiration miraculeuse ne pouvait avoir dicté à l’un le contraire de ce qu’elle dictait à l’autre, et les erreurs, les schismes, les hérésies étaient nés uniquement du refus de se soumettre aux décisions apostoliques. Rien de plus simple, à première vue, que cette marche des choses, et pourtant, dès que l’on se mettait à étudier scientifiquement l’histoire des trois premiers siècles, on se trouvait en face de ténèbres tellement opaques, il y avait si peu de rapports entre la source et le fleuve, les phénomènes et les principes, les points débattus et les sentimens en vigueur dans cette période présentaient une telle incohérence, qu’il fallait désespérer d’en dessiner le cours avec quelque vraisemblance. L’unité et l’orthodoxie supposées de l’église apostolique déroutaient d’avance les recherches.

Au XVIe siècle, plus d’une remarque fort peu orthodoxe à ce sujet avait été faite dans le camp protestant ; mais le siècle suivant, siècle d’autorité s’il en fut, ne poursuivit pas ces premières tentatives, et, malgré quelques essais isolés d’émancipation, il fallut attendre jusqu’à la fin du XVIIIe siècle l’heure de l’application d’une libre critique aux origines du christianisme. Beaucoup d’érudition, une infatigable ardeur, une médiocre philosophie, un manque de goût complet dans l’appréciation des choses religieuses, tels furent les caractères de la critique allemande de la fin du siècle dernier et des premières années de celui-ci. On n’admettait plus le miracle, et pourtant on voulait conserver l’autorité suprême du livre saint. De là des tours de force exégétiques que l’on raconte encore aujourd’hui dans les réunions d’étudians. C’était l’époque par exemple où l’on affirmait gravement que le miracle de l’eau changée en vin à Cana se réduisait à un cadeau inattendu fait par le Christ à des fiancés pauvres, et où l’on expliquait sa résurrection apparente par une mort non moins apparente. Qu’était devenu le Seigneur après cela ? On ne savait trop : il paraissait seulement que saint Paul l’avait encore rencontré, quelques années après, sur le chemin de Damas, etc. Schleiermacher et le romantisme naissant rendirent un éclatant service à la science religieuse en éliminant avec le dédain qu’elles méritaient ces ridicules explications. Disons pourtant que le travail prodigieux de recherches patientes et minutieuses qui accompagnait ces puériles hypothèses portait déjà de meilleurs fruits. La critique devenait plus méthodique et plus sévère ; le sens de l’antiquité se formait. On comparait avec d’anciens manuscrits récemment découverts, ou plus soigneusement explorés qu’auparavant, le texte