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de police, par le gendarme, par le garde champêtre, le-gouvernement ne fait-il point un contre-sens véritable ? Ne vient-il pas rappeler avec maladresse et importunité à ceux qui, le jour d’une élection générale, une fois tous les six ans, sont des souverains, qu’ils demeurent comptables sous toutes les formes envers tous les agens de l’administration, parce que le reste du temps ils redeviennent des administrés ? Est-il logique, est-il digne, est-il sage de susciter, par l’intrusion des agens du pouvoir dans l’élection, cette opposition dans la conscience de l’électeur entre le souverain et l’administré ? Si l’électeur par momens trouve plus prudent ou plus profitable de se considérer comme un administré que d’agir en fraction du souverain, en revient-il au gouvernement un grand avantage ou un grand honneur ? Croit-il qu’il enracinera dans les consciences la constitution dont l’esprit sera ainsi méconnu ? La Bruyère a dit depuis longtemps : « Il y a des conjonctures où l’on sent bien qu’on ne saurait trop attenter contre le peuple, et il y en a d’autres où il est clair qu’on ne peut trop le ménager. » Il disait encore : « Quand Je peuple est en mouvement, on ne comprend pas comment le calme peut y rentrer, et quand il est paisible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir. » Combien de fois la vérité de ces paroles n’a-t-elle pas été confirmée en ce siècle ! L’intérêt des gouvernemens n’est-il pas de prévenir par une modération opportune ces réactions brusques, ces ombrages soudains, ces soubresauts violens de l’opinion, et serait-il vrai que l’on pût être considéré comme un adversaire du gouvernement, si on le priait d’abandonner avec confiance sa propre constitution à son jeu naturel ?

Malheureusement, à en juger par ce qui se passe, si le gouvernement a foi dans la constitution, il se croit pourtant obligé à poursuivre dans les élections une politique qui, à nos yeux, en est la contradiction logique. Le travail commencé par les préfets permet de pressentir l’action qu’ils se proposent d’exercer dans les élections. Les tournées de révision ont été pour les préfets de véritables tournées électorales. Elles ont servi sur beaucoup de points à la déclaration des candidatures officielles. Les préfets ont fait connaître et ont recommandé aux maires leurs candidats. À cette occasion, on a vu éclater dans quelques départemens ces symptômes d’indépendance où nous aimons à voir un réveil de la fierté politique dans notre pays. On cite un département où les maires, prenant une initiative honorable, ont prié le préfet de s’abstenir de leur recommander des candidats ; on en cite un autre où les maires auraient prié le préfet de retirer le candidat qui leur était proposé. Dans plusieurs localités importantes, des comités électoraux se forment et proposent la députation à des hommes indépendans et libéraux, en se dégageant des étroites jalousies et des mesquines défiances qu’excitent chez les esprits arriérés et bornés les étiquettes arbitraires et aujourd’hui dénuées de sens que les tuttes du passé ont laissées sur certains noms. Nous ne sommes nullement enclins à exagérer la portée de ces faits, mais nous y voyons d’heureuses tendances qui ne peuvent