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du pouvoir législatif. Elle n’a pas voulu que les ministres et les agens de l’administration fissent partie de la chambre élective. Elle n’a pas voulu que l’indépendance du chef de l’état dans le choix de ses ministres et dans l’initiative de ses mesures politiques pût être dominée par la majorité de l’assemblée représentative. L’assemblée vote ou refuse les lois, vote ou refuse le budget : elle ne participe point à l’initiative dans la législation, et son autorité en matière de budget ne saurait aller, à moins de rendre le gouvernement et la constitution impraticables, au-delà du contrôle. Depuis le décret du 24 novembre, qui a concédé à la chambre le droit d’adresse et la publicité des comptes-rendus, le corps législatif peut joindre à ses attributions antérieures la faculté de donner des conseils au chef de l’état, et il est devenu en ce sens, en matière de politique générale, une assemblée consultative. Nous n’avons pas à juger, au point de vue théorique, les mérites ou les imperfections de cette constitution : elle nous régit. Il est impossible de songer à exercer aujourd’hui une action politique quelconque en dehors de ses limites. L’expérience des États-Unis, où la division du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif est non moins énergiquement déterminée, nous apprend d’ailleurs que cette division des pouvoirs n’est pas incompatible avec la liberté la plus large ; mais il est évident que la constitution n’a pu établir ce principe au profit du pouvoir exécutif sans faire jouir en même temps de ses avantages le pouvoir législatif. La loi qui défend le pouvoir exécutif contre les envahissemens du pouvoir législatif défend du même coup le pouvoir législatif contre les empiétemens du pouvoir exécutif. La réciprocité est obligatoire ; la justice aussi bien que la logique la proclament. Or quelle intrusion plus grande du pouvoir exécutif dans l’indépendance du pouvoir législatif que l’intervention de l’administration dans les élections, c’est-à-dire dans les origines mêmes du pouvoir législatif ? Si le gouvernement désigne des candidats et les propose au choix des électeurs, si, non content de les désigner et de les proposer, il leur donne le concours énergique de tous les agens de l’administration, de cette hiérarchie organisée qui commence au ministre de l’intérieur, et, passant par les préfets et par les maires, arrive aux dernières couches du corps électoral par les gendarmes et les gardes champêtres, l’indépendance du pouvoir législatif n’est-elle pas atteinte à sa source même ? Ce pouvoir ne court-il point le danger de n’être plus qu’une émanation de l’exécutif ? Que devient alors le principe de la distinction et de la division des pouvoirs ? Une telle pratique respecte-t-elle l’esprit de la constitution ?

La contradiction logique qui résulte de l’immixtion du gouvernement dans les élections n’est pas moins éclatante lorsque l’on considère la place que le suffrage universel occupe dans la constitution présente de la France. Il y a eu plusieurs époques, depuis quatre-vingts ans, où, à propos du suffrage électoral, une controverse s’est élevée sur la question de savoir si l’électorat était un droit ou une fonction. Les uns, voulant limiter le droit électoral par certaines conditions de capacité et de responsabilité, prétendaient