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Passez à l’arrière-plan, précieux diplomates ; braves généraux, reposez-vous. La peine et l’honneur sont maintenant pour d’autres : messieurs les préfets et les sous-préfets, à votre tour !

La campagne électorale qui va s’ouvrir donnera aux préfets, nous n’en doutons point, moins de peine que d’honneur. Il est certain cependant qu’il règne dans le corps préfectoral cette sorte d’émoi qui accompagne la veillée des armes. Il faudrait n’être pas Français pour ignorer que des élections générales sont une époque critique dans la carrière de ceux de nos compatriotes qui ont l’honneur d’être sous-préfets ou préfets ; mais il n’est pas nécessaire d’être Français pour être étonné de cette anomalie. Tout le monde sait que nous ne vivons point sous le régime parlementaire, Dans ce régime, le pouvoir exécutif est une émanation du corps électoral. Les électeurs nomment les députés, et les députés se groupant en partis, les représentans du parti qui a la majorité dans la chambre se trouvent naturellement portés au pouvoir. Le pouvoir appartenant alors à un parti, il n’est pas surprenant que les agens du pouvoir deviennent, au moment des élections, des agens de parti. Encore, sous le régime parlementaire, l’action des préfets doit-elle être contenue dans les limites d’une tutte loyale, et l’abus des influences administratives leur est-il interdit par les principes d’une politique saine autant que par les lois de la morale. Il est des pays où cette tendance du régime parlementaire poussée à l’excès a produit les résultats les plus déplorables. Telle est par exemple la Grèce, avant sa dernière révolution. Un économiste anglais dont le métier n’est pas d’être plaisant, M. Senior, a raconté d’une façon piquante comment les choses se passaient en Grèce. « Chaque Grec, — c’est la conversation d’un Grec qui est rapportée par M. Senior, — est en compte avec l’état et débiteur de la couronne. Chaque Grec veut avoir une place, chaque Grec veut avoir sa parcelle dans les terres domaniales, chaque Grec est en procès avec un autre Grec. Les électeurs du démos (la commune) sont avertis des personnes dont le roi désire l’élection. Si ce désir est contrarié par les électeurs, malheur à eux ! On leur réclame l’arriéré, ils n’ont pas de places, ils n’ont pas de biens nationaux, ils perdent leurs procès, ils sont hors la loi. » Voilà la peinture outrée de l’abus exagéré de l’influence administrative dans un simulacre de monarchie parlementaire. Il est malaisé d’expliquer comment le gouvernement actuel, qui professe un si sincère dédain pour le parlementarisme, n’a point hésité à s’approprier une des pratiques les plus périlleuses et le plus souvent critiquées de ce système gouvernemental, l’emploi de l’action administrative dans les élections.

Deux principes caractéristiques de la constitution de 1852 auraient dû, ce semble, rendre une telle conduite antipathique au gouvernement actuel. Nous voulons parler du principe de la division des pouvoirs, tel qu’il est établi dans la constitution, et du principe électoral lui-même, tel qu’il résulte de la nature du suffrage universel.

La constitution de 1852 a voulu séparer absolument le pouvoir exécutif