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malheureux Lazare, — et Dieu sait pourtant si j’eusse montré à sa place autant de patience ; — mais il fallut se décider au débarquement et suivre notre compagnon vers un petit village où nous trouvâmes heureusement une auberge. Dix minutes après notre arrivée, Malcolm était redevenu lui-même, et j’attribuai le prompt retour de sa bonne humeur habituelle à l’influence d’une jeune fille des highlands, remarquablement jolie, qui paraissait toute disposée à lui demander quelques enseignemens culinaires. Il mit à les lui donner un empressement vraiment paternel, et bien qu’il étonnât nos hôtes par le nombre d’œufs dont il encombrait la poêle, je le vis s’impatroniser rapidement dans leurs bonnes grâces. Nonobstant son formidable appétit, ils l’eussent gardé volontiers toute la semaine…

À celles de mes lectrices qui veulent trouver partout un sujet de roman, je dirai que nous eûmes bientôt, par l’hôtelière de Cladich, des détails précis sur les impressions des belles jeunes filles que nous avions si bien effarouchées. Miss Louisa même, — la plus jeune et la plus naïve des deux, — les avait consignées sur un brouillon de lettre qui, tombé de son album, nous fut traîtreusement livré. Cette dear young lady n’était plus tout à fait si convaincue d’avoir eu affaire à des échappés de Bedlam ; mais elle avait conservé le plus pénible souvenir de la longue barbe grise, orgueil du menton de Malcolm. — Campbell au contraire, avec ses longs cheveux noirs et sa chemise rouge, ne lui aurait point déplu ; mais par malheur il fumait, habitude aussi inconvenante que celle de laisser croître sa barbe. « Les deux réunies sont positivement abominables, » ajoutait l’aimable touriste. Marchant de découverte en découverte, elle s’étonnait ensuite d’apprendre qu’un des trois insensés était poète en même temps que peintre, gentleman d’ailleurs et pourvu d’un valet.

Une fois revenues de leurs préjugés hostiles, miss Louisa et miss Jane se fussent peut-être adoucies, apprivoisées encore plus complètement. Et qui sait jusqu’où le remords de nous avoir si mal jugés eût entraîné ces tendres et innocentes créatures, accessibles à tant d’illusions. Mais le frère James et le cousin Edward y mirent bon ordre, et je n’eus jamais l’occasion de vous révéler, chère enfant craintive, les mystères de ma rustique existence. Dieu sait cependant si j’aurais été heureux de guider vos pas chancelans vers cette tente lointaine habitée par un solitaire farouche !… et de la voir se métamorphoser, sous vos yeux étonnés, en une flaque de neige, triste legs du dernier hiver.